Les Alpes valaisannes regorgent de montagnes gigantesques et sublimes. Mais au cœur de ce royaume de roche et de glace, la nature a façonné un massif sans égal. Je vous dévoile ici le portrait des Aiguilles Rouges d’Arolla comme une traversée céleste aux portes du sublime.
Portrait des Aiguilles Rouges d’Arolla : Naissance d’une montagne colossale
Les Aiguilles Rouges d’Arolla flamboient dans le ciel du Valais suisse. Nées de l’union de sommets et de brèches, elles prennent leur envol entre le lac des Dix et le val d’Arolla. Ce chaînon montagneux des Alpes valaisannes déploie ses crêtes du col des Ignes au col Sud des Darbonires. Dominant les glaciers des Darbonires et des Aiguilles Rouges, il culmine à 3644 mètres d’altitude au-dessus d’Arolla.
Les Aiguilles Rouges forment une muraille de roche millénaire, vestige d’un temps où la montagne n’avait pas encore jailli des eaux. Cette forteresse imprenable de métagabbros brandit fièrement ses trois plus hauts bastions pour exposer au monde la grandeur des Alpes. Du nord au sud, ses pointes s’élèvent à plus de 3500 m d’altitude, bien loin alors d’imaginer qu’un jour l’homme aurait l’audace de les affronter.
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Première ascension des Aiguilles Rouges d’Arolla : Dans le Valais suisse
À la croisée du val d’Hérémence et du val d’Hérens, les Aiguilles Rouges d’Arolla ne connaissaient ni le souffle des hommes ni leurs déchirures. Jusqu’à ce jour de gloire où Joseph Gillioz et Henri Isler ont franchi un à un les obstacles dressés sur leurs flancs escarpés.
C’est en contemplant cette chaîne de montagnes immense des hauteurs du mont Pleureur et de La Sâle qu’Henri Isler voit naître en lui l’envie suprême d’être le premier à atteindre sa cime. L’idée mûrit en lui quand, le 19 juin 1870, Joseph Gillioz, son guide, l’invite à le suivre en haute montagne. Leur expédition commence à Fionnay, dans le val de Bagnes, le 21 juin. Quittant alors la vallée, les alpinistes avancent d’un bon pas en direction de Sovereu. Derrière eux, l’horizon danse à la lueur du soir et le massif des Combins les salue, inondant le ciel de reflets empourprés. Le spectacle est grandiose et les encourage à poursuivre leur quête. Il fait déjà nuit noire quand ils atteignent enfin le chalet de Sovereu. Après avoir partagé un repas frugal, ils s’endorment pleins d’espoir au creux de la montagne.
Ascension des Aiguilles Rouges d’Arolla : Aux portes de l’exploit
Le 22 juin 1870, Henri Isler et Joseph Gillioz quittent le refuge à 3 h 15 pour rejoindre le glacier des Écoulaies par le col de Sovereu. Face à eux, les Aiguilles Rouges d’Arolla, de leur envergure colossale, paraissent guetter chacun de leurs pas. À leurs côtés, les géants du Valais s’élèvent en chœur. Les pointes de la Vouasson et des Darbonires, mais aussi, dans la brume lointaine, le Weisshorn, le massif des Mischabel, le Rothorn, le Blanc de Moming, le Cervin et les cimes du Mont-Rose. Tant de sommets illustres qui offrent aux alpinistes une vue merveilleuse sur les beautés du ciel.
Après avoir traversé sans encombre le glacier des Écoulaies, qui à cette époque longeait encore les Rochers du Bouc, Henri Isler et Joseph Gillioz atteignent le chalet de Lautaret à 9 h 15 pour y faire une pause. Puis, bien décidés à franchir les premières pentes menant aux Aiguilles, ils reprennent la route. En cette seconde moitié du 19e siècle, il n’y avait en ces lieux ni lac des Dix ni barrage de la Grande Dixence. Des Rochers du Bouc, les alpinistes se dirigent donc droit vers le col nord des Darbonires quand Henri Isler se sent soudain pris du mal des montagnes. Il persévère dans son ascension et continue d’y croire. Mais ses maux de tête deviennent si intenses qu’il se voit contraint de rebrousser chemin.
En renonçant ainsi à leur expédition, les alpinistes savent qu’ils n’auront pas avec eux assez de provisions pour retenter leur chance le lendemain matin. Leur déception est immense mais ils ne peuvent se résoudre à abandonner. Joseph Gillioz, dans un élan fougueux, offre alors à son compagnon d’aller à Hérémence pour faire le plein de vivres. Imaginez la vigueur incroyable de cet homme qui enchaîne les courses sans jamais succomber à l’épuisement !
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Première ascension des Aiguilles Rouges d’Arolla : Du val des Dix au col Nord des Darbonires
Le 23 juin 1870, les deux hommes déjeunent puis quittent leur bivouac à 5 h du matin. Ils grimpent jusqu’au glacier des Darbonires, longeant les cours d’eau qui ruissellent pour nourrir la Dixence. Laissant derrière eux les pentes verdoyantes, ils entrent dans un monde de roche et de glace. Au détour d’un regard, ils admirent La Sâle, émergeant de la glace pour tutoyer le ciel. Cette montagne du val de Bagnes, qui fut autrefois la première conquête d’Henri Isler, paraît ici les encourager à se dépasser. Sur le glacier des Darbonires, le sol est dur, dépourvu de neige. Ils doivent arracher chacun de leurs pas à la glace vive et intransigeante jusqu’à ce que la neige les porte à nouveau. Mais, alors qu’ils progressent plus rapidement, la montagne leur fait obstacle une fois encore. Arrivés au pied de la face ouest des Aiguilles Rouges d’Arolla, ils découvrent qu’aucune voie ne peut y être ouverte.
Alors, résignés, ils doivent remonter parmi la glace et les éboulis jusqu’à l’arête nord-ouest des Aiguilles Rouges. Du haut de cette crête, ils aperçoivent enfin le glacier des Aiguilles Rouges. Face à eux s’étend le val d’Arolla et ses reliefs sublimes : les Petite et Grande Dents de Veisivi, les Dents du Perroc et de Tsalion, et derrière elles les glaciers de Ferpècle et du Mont Miné, alimentant le Borgne et son fameux torrent. Nourris par la splendeur de ce panorama, les alpinistes commencent leur traversée des Aiguilles Rouges d’Arolla.
Les Aiguilles Rouges d’Arolla : Traversée de leur sommet nord à leur sommet principal
Lorsqu’ils arrivent sur sa pointe nord, Henri Isler croit avoir atteint le point culminant de ce chaînon démesuré. Mais il n’en est rien. Son audace le quitte alors un instant, laissant place aux doutes et à l’amertume. Parviendra-t-il vraiment à vaincre le premier les Aiguilles Rouges du val d’Arolla ? Un gouffre béant s’ouvre devant eux et la roche escarpée paraît infranchissable. Ils n’ont d’autre choix que de descendre le long du pic tranchant et délité sur lequel ils se trouvent. Arrivés sains et saufs au fond de la faille qui les sépare de leur objectif, ils constatent avec stupeur que là encore, la montagne leur fait barrage. D’énormes blocs de pierre en équilibre instable bloquent la voie menant au sommet. À tout instant, ils menacent de s’effondrer. Pour Joseph Gillioz, il est hors de question de prendre le risque de les escalader. Alors, les deux hommes empruntent des détours, esquivent les rochers, évitent les dangers. Jusqu’à ce qu’ils soient face à la seule voie possible vers le sommet principal des Aiguilles Rouges. Dans la neige et la glace, ils taillent des marches, puis foulent à nouveau une roche effritée. Décidément, rien n’est simple dans cette aventure.
Solidement attachée, la cordée avance, l’âme chevillée au corps. Quand les Aiguilles Rouges d’Arolla brandissent face aux hommes une dernière brèche, Joseph Gillioz prend la résolution de se détacher et part en éclaireur au-delà des rochers. Son compagnon, qui ne le voit plus, compte les minutes. Le temps s’étire et l’attente lui paraît interminable. Il retient son souffle et tend l’oreille pour mieux suivre de loin l’avancée de son guide. Quand, tout à coup, la tête de Gillioz surgit des rochers. Il est vivant ! Il a réussi et veille immédiatement à le rassurer. La voie est praticable et, si tout va bien, dans quelques minutes, ils seront au sommet.
Plus que jamais unis dans un élan de ferveur, ils reprennent leur ascension et posent le pied à 13 h 40 au sommet des Aiguilles Rouges d’Arolla. Ensemble, ils ont réussi l’exploit de vaincre les premiers cette montagne gigantesque. Ensemble, ils ont surmonté les pires entraves. Leurs hurlements de joie retentissent alors à travers les Alpes. D’un sommet à l’autre, la nouvelle se répand comme un parfum de gloire. Le regard humide et le cœur battant, ils admirent la beauté de la Terre autour d’eux. Toutes ces montagnes qui les font rêver.
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Ascension des Aiguilles Rouges d’Arolla : Descente périlleuse aux portes d’Hérémence
Ils n’osent encore croire à leur prouesse quand ils doivent déjà se résoudre à descendre. Tout là-haut, on se croit en dehors du temps, mais la réalité nous rattrape vite. Henri Isler et Joseph Gillioz quittent le sommet des Aiguilles Rouges d’Arolla à 14 h 27. Ils se hâtent d’avancer car les chutes de pierre se font plus nombreuses quand le soleil échauffe les neiges éternelles. Ils progressent la peur au ventre, pas après pas, tant les roches sont instables et la paroi glissante. Ce n’est qu’en retrouvant le glacier des Darbonires qu’ils peuvent enfin reprendre leur souffle, soulagés d’être en vie et d’avoir surmonté cette dernière épreuve. La nuit tombe lorsqu’ils rejoignent les pâturages et le refuge de Lautaret.
Il est 20 h et la raison voudrait qu’ils restent dormir au pied des Aiguilles Rouges. Mais leur envie de se fondre à nouveau dans le monde des hommes est plus forte que tout. Les alpinistes se lancent dans une ultime course vers Hérémence. Mais ils s’égarent bientôt, à la croisée des eaux du glacier de Praz-Fleury et de la Dixence. Il fait bien trop sombre pour se repérer et le sentier qu’ils doivent suivre se dérobe à eux désespérément. Que faire désormais ? Le mont Blâva et la Pointe de la Vouasson, au-dessus d’eux, ne peuvent rien pour les aider. L’idée leur vient alors de se rapprocher de la Dixence. Le sentier devrait se trouver à proximité. Ils tâtonnent dans le noir, sondent le terrain avec leur bâton, s’assurant surtout de ne pas trébucher. Quand soudain, ils aperçoivent une hutte à quelques mètres à peine. Elle leur semble habitée. Ils s’y précipitent et sont accueillis autour d’un bon feu par ses occupants. Il est 22 h lorsqu’ils prennent enfin un peu de repos.
Le lendemain matin, ils quittent leurs hôtes pour rejoindre Hérémence puis Vex et se séparent à Sion à la mi-journée. Ils ne sont pas près d’oublier leur périple et avancent plus forts de leur victoire. Car personne d’autre qu’eux ne pourra se targuer d’avoir réalisé la première ascension des Aiguilles Rouges d’Arolla.
Portrait des Aiguilles Rouges d’Arolla : Records dans le ciel des Alpes valaisannes
Les prouesses se multiplient ensuite au sommet des Aiguilles rouges d’Arolla. Le 9 septembre 1882, Adolph et Franz Andermatten, Reginald Hughes et D. W. Stable gravissent les premiers la pointe centrale par son versant sud-est. Tandis que nous devons la première ascension de cette cime par son versant ouest à Robert Cary Gilson et Pierre Maître, qui défient la montagne le 19 août 1890.
Le sommet sud des Aiguilles Rouges d’Arolla est, quant à lui, vaincu le 3 septembre 1887. Arthur Macnamara, Jean Maître, William Cecil Slingsby et Harold Ward Topham grimpent cette pointe méridionale par son versant est et son arête sud avant de redescendre par son arête nord-est. Puis, ils poursuivent leur course par la traversée sud-nord du sommet central des Aiguilles Rouges. Ils ouvrent alors la voie aux plus courageux qui se lanceront dans la traversée intégrale du chaînon montagneux.
De nos jours, l’itinéraire le plus fréquenté conduit les alpinistes à traverser les trois sommets des Aiguilles Rouges d’Arolla du nord au sud. Au départ de la cabane des Aiguilles Rouges, perchée à 2815 m d’altitude, le voyage est prodigieux et l’expérience impérissable.
D’un chaînon sauvage perdu au cœur des Alpes suisses, les Aiguilles Rouges d’Arolla deviennent le théâtre d’aventures exceptionnelles. Grâce à l’audace d’une poignée d’hommes, elles sont entrées dans la lumière. Bien sûr, cette montagne ne s’élève pas à 4000 m d’altitude, mais elle possède sans nul doute le charisme des plus grandes et leur magnificence.