10 mai 2024. Deuxième étape d’une aventure exceptionnelle à la rencontre des plus hauts sommets des Alpes bernoises. Hier, j’ai gravi les Grosses et Hinteres-Fiescherhorn aux côtés de mon guide, Johann Filliez. À la conquête des hauteurs, nous nous apprêtons aujourd’hui à réaliser l’ascension à ski du Finsteraarhorn. Dominant les montagnes alentour, il culmine à 4274 mètres d’altitude aux confins des Alpes valaisannes et du canton de Berne. J’ai tant de fois photographié cette pyramide gigantesque. Tant de fois sa beauté m’a transpercé le cœur. Quel bonheur alors de pouvoir enfin glisser sur ses flancs, escalader ses crêtes et rejoindre sa cime ! J’en suis sûr, cette journée marquera pour longtemps ma mémoire.
Expédition au sommet des Alpes bernoises : Escale à la Finsteraarhornhütte
Je dors à poings fermés, bercé par le confort appréciable de la Finsteraarhornhütte. Le refuge récemment rénové offre en effet à ses visiteurs des lits superposés individuels qui leur permettent de profiter de nuits sereines et réparatrices. L’aube pointe et j’ouvre un œil. Je m’étire et je savoure chaque minute. Engourdi par la fatigue de la veille, je somnole et je m’évade. Autour de moi, la cabane s’agite. Mais, tant que mon réveil ne sonne pas, je me délecte de ces instants de brume où la nuit se dissipe pour laisser place au jour. Je vogue dans cet entre-deux divin quand tout à coup Johann m’interpelle. Branle-bas de combat : c’est la cohue générale ! Le refuge est en ébullition, les alpinistes se préparent. Il faut que je me lève si l’on veut pouvoir quitter la cabane à l’heure prévue.
Jetant un seau d’eau froide sur mes rêves, je me lève d’un bond. Je saute dans mes vêtements, vérifie le contenu de mon sac et descends à toute allure prendre mon petit-déjeuner. Une tranche de pain avec du beurre et un bircher, spécialité suisse où les céréales se mêlent aux fruits pour apporter aux explorateurs que nous sommes toute l’énergie dont nous avons besoin pour affronter les hauts sommets. Je réalise alors que mon appétit est meilleur que la veille : mon corps s’acclimate peu à peu à l’altitude.
Tout à mes réflexions, je vois Johann me tourner autour comme un lion en cage. Il n’a qu’une hâte, celle de se lancer à l’assaut du Finsteraarhorn. L’envie de quitter le refuge pour traverser ses glaciers, fouler sa neige et sentir sous ses pieds sa roche tenace. Alors, je m’équipe et l’odyssée commence. En sortant de la cabane, je suis frappé par la splendeur du panorama. Une lumière naissante, d’une absolue douceur, révèle la profondeur des paysages et l’âme des montagnes. En quelques secondes, je photographie cette vue féérique. Puis, il nous faut partir.
Ascension à ski du Finsteraarhorn : du refuge au col Hugisattel
Johann me réserve une agréable surprise. Alors que nous devions franchir à skis la pente menant de la Finsteraarhornhütte au point 3600, nous marcherons crampons aux pieds et les skis sur le dos. Soulagé de pouvoir me mettre en jambes avant de devoir pratiquer le ski de randonnée, j’avance le cœur léger. En s’échauffant, mon corps raidi par les efforts de la veille accepte de relever un nouveau défi. La pente est raide mais je suis déterminé à mener à bien cette course céleste. Au fil de nos pas, le soleil déploie ses rayons sur le Grosses-Wannenhorn et le Fiescher-Gabelhorn.
Vers 3300 mètres d’altitude, au pied du glacier, la pente s’adoucit et nous chaussons les skis. Un poids en moins sur les épaules, nous grimpons alors jusqu’au point 3616 sur une neige ferme. Si sa densité reste la même, je me plais à croire qu’elle sera plaisante à descendre. Rassuré par cette perspective, je continue à suivre Johann en veillant à conserver un rythme régulier.
Arrivés à la barre rocheuse qui devait marquer la fin de notre montée à ski, Johann est étonné de voir qu’elle est recouverte de neige. La tempête récente a redessiné les crêtes du Finsteraarhorn, offrant à la montagne une parure inédite. Dès lors, nous décidons de franchir ce passage les skis aux pieds avant d’apercevoir au loin le Hugisattel. Difficile d’évaluer les distances en haute montagne. Alors, comment mesurer combien d’heures nous séparent du col ? La fatigue aidant, nous voulons croire qu’il est proche, mais à la vue de ces alpinistes minuscules qui le gravissent à l’horizon, nous savons qu’il est encore loin. Armés de courage, nous nous élançons et plus que jamais je me sens à ma place, résolu à goûter chaque instant du voyage. Prêt à découvrir la figure imposante et grandiose du Finsteraarhorn.
Traversant le glacier qui s’étend jusqu’au Hugisattel, nous l’atteignons enfin. Heureux de cette première victoire sur le roi des Alpes bernoises, nous plantons nos skis dans la neige à 4088 mètres d’altitude et marquons une pause bien méritée. À la croisée des glaciers et des crêtes bernoises, nous nous restaurons, reprenant notre souffle sous le regard attentif du Finsteraarhorn. Puis, nous équipons nos chaussures de crampons avant d’entreprendre l’ascension de l’arête qui conduit au sommet de la montagne.
Ascension du Finsteraarhorn : À plus de 4000 mètres dans les Alpes bernoises
À skis de randonnée, munis de peaux de phoque, nous progressions à cadence régulière. Mais l’aventure prend ici un nouveau tournant. L’ascension est technique et le terrain exige de nous un effort plus soutenu. Malgré les obstacles, nous nous élevons rapidement, portés par l’épais tapis de neige qui recouvre les rochers. Je me réjouis de la chance que nous avons de pouvoir parcourir cette arête dans des conditions parfaites. Sous un ciel resplendissant, les montagnes nous saluent, d’une blancheur étincelante. Et, le cœur vibrant, j’admire derrière nous les Grosses et Hinteres-Fiescherhorn que nous avons gravis la veille. Suspendu entre Terre et ciel, je me sens essoufflé mais comblé de me trouver à cet instant à la cime des Alpes bernoises comme sur le toit du monde.
La course est rude mais nous persévérons. Jusqu’au moment de grâce où nous pouvons enfin toucher la croix qui se dresse au sommet du Finsteraarhorn. À force d’endurance, Johann et moi avons réussi et crions notre joie à la haute montagne. Aux Alpes et à l’azur. Le regard complice, nous nous comprenons. Au pied de cette croix qui marque le terme d’une ascension inoubliable, je réalise alors que j’ai du réseau. Trois jours déjà que nous avons quitté la vallée et que je ne peux joindre ma compagne et ma fille. Alors, je m’empresse de les appeler. Pour les rassurer, pour entendre leur voix. Pour leur dire qu’à chaque instant je pense à elles.
Puis, en levant la tête, je découvre une vue imprenable sur les Alpes. Une succession de crêtes blanchies qui se mêlent au bleu profond de l’horizon. Comme si la nature merveilleuse déroulait devant nous un océan céleste. Comme si la Terre s’était transformée en un monde de glace. Du mont Cervin au Piz Bernina, les plus hautes montagnes de Suisse défilent sous nos yeux éblouis. Voilà notre ultime récompense. Voilà pourquoi jamais je ne pourrai me lasser de parcourir les sommets. Car de là-haut se dessinent les plus beaux des paysages.
Descente à ski du Finsteraarhorn : Du col Hugisattel à la Finsteraarhornhütte
Après quelques minutes de contemplation, il nous faut redescendre vers le Hugisattel. En perdant de l’altitude, je regagne en vigueur. L’effort est moins intense et nos pas sont plus vifs. De retour au col, nous troquons les crampons contre nos skis de randonnée. Tout là-haut, chaque geste se mesure. Nos mouvements doivent être précis, justes et contrôlés. Pour ne pas dilapider nos forces, pour ne pas dépenser inutilement cette énergie si précieuse qui nous fait avancer. Pour ne pas perdre de temps non plus, car en montagne les heures défilent et le vent tourne. Johann est efficace et méthodique. Ses gestes sont rigoureux et ne cèdent rien aux coups du sort. À ses côtés, j’ai l’impression fâcheuse de brasser de l’air et de me disperser. Mais, ensemble, nous cheminons, quoi qu’il advienne, sur le dos de ces géants qui font des Alpes un royaume sans pareil. Et je remercie Johann de son aide bienveillante. Grâce à lui, je me dépasse et je progresse.
Nous prenons un en-cas puis vient l’heure de la descente. En observant la neige, mes espoirs s’envolent. Elle est mauvaise, presque impraticable. Nos skis s’y enfoncent et nous voilà prisonniers des rails formés par une croûte de glace. Impossible de prendre un virage et difficile de skier dans ces conditions. 400 mètres de dénivelé à parcourir dans ce carton abominable : le trajet est fastidieux et nos sensations désagréables. Johann, qui voit le positif en toute chose, me dit que ceux qui réussissent à skier sur ce genre de neige peuvent skier partout ailleurs. La consolation est maigre ! L’enfer a ici rejoint les sommets et nous sommes contraints de le traverser.
Ce n’est qu’au point 3616 que nous retrouvons la neige ferme croisée à l’aube. Épaisse neige de printemps, moquette moelleuse comme on en rêve en haute montagne. Je sens alors monter en moi l’ivresse des folles équipées, l’euphorie des hauteurs. Ce sentiment de jouissance qui fait tout oublier. Survolant presque la montagne, je me sens grisé. Porté par l’euphorie des vents, j’exulte à la descente. Lorsque les Alpes nous accueillent dans de telles conditions, les sensations que l’on éprouve sont incomparables.
Expédition au cœur des montagnes bernoises : Du Fieschergletscher à la Konkordiahütte
De retour à la Finsteraarhornhütte, nous reprenons peu à peu nos esprits. Et nous nous régalons d’un délicieux rösti. Des pommes de terre savoureuses et dorées à souhait. De l’enfer, nous avons finalement rejoint le paradis ! Après cette pause salutaire, nous poursuivons notre périple jusqu’à la Konkordiahütte. Le soleil est au zénith et la glace scintillante, alors nous nous protégeons : casquette sur la tête et écran total sur la peau. Fin prêts pour affronter la dernière étape de ce jour, nous nous engageons sur le Fieschergletscher pour rejoindre le Grünhornlücke. Au fil de nos pas, la vue s’ouvre derrière nous sur le Finsteraarhorn et je revois le trajet que nous venons de parcourir. C’est incroyable quand on y pense. Comment l’homme parvient-il à rejoindre de telles cimes ? Et comment imaginer que je fais désormais partie des privilégiés qui ont foulé la roche de ce sommet phénoménal ?
Arrivés au col du Grünhorn, nous retirons les peaux de phoque de nos skis face aux Fiescher-Gabelhorn et au Chamm. En traversant le col, nous sommes fascinés par l’envergure démesurée de la Konkordiaplatz et des glaciers qui l’entourent. Comme une étoile de glace qui étend ses bras dans le ciel des Alpes. Le spectacle est magique. Nous poursuivons notre descente jusqu’au pied des échelles menant au refuge de Konkordia.
Alors que nous sommes épuisés par les efforts de la journée, nous nous préparons à braver cette montée interminable. Autrefois, la cabane se trouvait au niveau du glacier sur lequel nous marchons. Mais avec le temps qui se réchauffe, les glaces reculent et l’homme n’a d’autre solution que de construire des échelles pour assurer l’accès à la Konkordiahütte. Voilà pourquoi nous devons aujourd’hui gravir 300 mètres de dénivelé pour atteindre le refuge. À chaque marche, je pense à la fragilité des Alpes, à leur métamorphose. Au besoin viscéral qui m’anime de préserver leur mémoire en les photographiant.
Franchissant la dernière marche, je reprends mon souffle. Je suis heureux, bien sûr, de pouvoir enfin prendre du repos. Mais la montagne fourmille, le refuge est plein : 157 alpinistes y dormiront ce soir. Et j’aime percevoir le souffle des montagnes solitaires. Les jambes lourdes, les muscles endoloris, Johann et moi prenons place sur la terrasse de la Konkordiahütte. Face au glacier d’Aletsch, à ses crevasses fabuleuses et aux montagnes qui l’entourent, nous nous reposons. Devant nous, le flot des glaciers semble répondre à la danse des nuages sous un ciel magnifique. Que demander de plus à la vie ?
Alors, bien sûr, la nuit va être longue, les conditions seront spartiates. Un même dortoir pour tout le monde, chacun son matelas, collés les uns aux autres. Bien sûr, ma famille est loin et me manque terriblement. Mais je me sens serein. Reconnaissant à la nature des instants qu’elle nous offre. De ces moments remarquables, des émotions qui nous chavirent. Du souvenir impérissable de l’ascension du Finsteraarhorn. Et je m’endors le cœur confiant, rêvant déjà au lendemain. L’ascension du Grosses-Grünhorn, troisième étape de notre expédition à plus de 4000 mètres dans les Alpes bernoises.