Tour à tour journaliste et correspondant de guerre, guide de haute montagne et alpiniste, explorateur et écrivain. Qui est cet homme qui défie ainsi la vie de lui résister ? D’une insatiable curiosité, amoureux de l’homme et de la nature, rien ne paraît entraver ses désirs. Précurseur et visionnaire, il est de toutes les premières. Découvrez l’histoire d’une légende des Alpes et d’ailleurs, Roger Frison-Roche, aventurier des temps modernes.
Roger Frison-Roche : Naissance d’un aventurier des temps modernes
Roger Frison-Roche voit le jour le 10 février 1906 à Paris, dans la brasserie que tiennent ses parents. Originaire de Beaufort-sur-Doron, le couple savoyard s’est exilé quelques années plus tôt. Sans terre ni ressources, il trouve refuge dans la capitale sans jamais pourtant oublier ses racines.
Roger grandit comme un enfant nomade, animé par le besoin vital de revenir aux sources. Chez son oncle, l’été, il s’occupe des foins sur les hauteurs de Beaufort. Les vallées verdoyantes et les montagnes abruptes, les rires joyeux de ses chers cousins. Il se sent bien, il est chez lui. Et quand il lève le regard, il se prend à rêver en découvrant le mont Blanc percer l’horizon. Cette vision l’obsède, elle ne le quitte plus. Il doit pourtant poursuivre sa route. Pour gagner son pain, il devient groom chez Thomas Cook puis interprète au Touring Club de France. Jusqu’au jour où, dans le ciel du Bois de Boulogne, il aperçoit un nuage aux allures de montagne. Il le sait alors, son destin l’appelle. L’heure est venue pour Roger Frison-Roche de rejoindre les Alpes.
Roger Frison-Roche : Journaliste engagé et correspondant de guerre
Roger Frison-Roche envisage la vie comme une promesse. Très jeune, il s’engage pour les causes justes, pour la vérité. En 1924, il fait ses premiers pas de journaliste pour la revue Le Savoyard de Paris. Après avoir effectué son service militaire à Grenoble, dans le 93e régiment d’artillerie de montagne, il fonde en 1928 l’agence chamoniarde du Petit Dauphinois et ajoute au journal une rubrique consacrée au ski.
En 1932, alors reporter pour Radio Lyon-la-Doua, Roger Frison-Roche marque l’histoire des télécommunications. Héros de son temps, il participe à la première émission radiophonique émise du sommet du mont Blanc. Il dira plus tard de cet événement : « Je leur parle du haut du mont Blanc ! Quelques minutes qui sont pour moi comme un trou dans ma vie, tellement elles ont été irréelles. »
En 1938, il part avec sa famille pour Alger. Durant quatre ans, il travaille à La Dépêche algérienne. Puis, la guerre éclate, les conflits s’enveniment et il ne parvient plus à rester sans agir. Alors, en 1942, il rejoint le front tunisien et devient correspondant de guerre aux côtés des forces alliées. Au plus près des violences, il témoigne des drames et de la cruauté d’un monde qui n’a plus de sens. Quand quelques mois plus tard, le sort se joue de son audace. Capturé par l’ennemi allemand, il est enfermé et condamné à mort. À l’ombre de sa cellule, il se consume et il a peur, mais il s’entête à y croire. Croire en son avenir et en l’humanité. Cet homme n’est pas né pour abandonner. Et, comme par miracle, le ciel lui vient en aide. Avec l’aide d’un ami influent du gouvernement de Vichy, il obtient des papiers et réussit à s’évader en 1943. De nouveau libre, il entre en clandestinité et rejoint dans leur lutte les maquis savoyards. Roger Frison-Roche devient alors officier de liaison auprès des FFI avant d’intégrer l’état-major de la 5e demi-brigade de chasseurs alpins. De cette époque naîtra l’idée du roman qu’il publie en 1968, Les Montagnards de la nuit.
Puis, la guerre s’achève, et notre journaliste peut enfin retrouver sa famille à Alger. À travers l’Europe et l’Afrique, il multiplie les reportages pour témoigner d’un monde en reconstruction. Et quand à leur tour, les conflits éclatent en Algérie, il emménage à Nice et rejoint l’équipe de Nice-Matin en 1955. Trente ans d’une vie à enquêter, à révéler, à prendre des risques. Mais, Roger Frison-Roche pousse encore plus loin sa vocation de globe-trotter. L’aventure, en effet, a bien d’autres facettes, et l’une d’entre elles se joue en montagne.
Roger Frison-Roche : Alpiniste et guide de haute montagne
Roger Frison-Roche n’a que 17 ans lorsqu’il s’installe à Chamonix, en 1923, alors que le village est en effervescence. Quelques mois plus tard, en 1924, il accueille en effet les tout premiers Jeux olympiques d’hiver. Impossible pour cet amoureux des Alpes de ne pas y participer ! Il obtient alors le poste de secrétaire du syndicat d’initiative et du Comité olympique. Au cœur de l’action, il court les montagnes, gravit l’Aiguille du Grépon et l’Aiguille du Moine. Il effectue ses premières ascensions en solitaire, mais se joint aussi aux expéditions des plus grands alpinistes. Le 1e septembre 1925, Joseph Ravanel, dit « le Rouge », le choisit comme porteur pour l’accompagner au sommet du mont Blanc. Il s’adonne également à tous les sports d’hiver. Sa silhouette longiligne devient familière des Chamoniards, qui le surnomment « Grand sifflet » ou « Frison ». En quelques mois, Roger Frison-Roche a conquis le cœur des Alpes et de ses habitants.
1928 est pour lui une année exceptionnelle. Le jour où il rencontre la skieuse Marguerite Landot, sa vie change à jamais. Elle devient son épouse, la mère de ses enfants, et ils ne se quitteront plus. La même année, il prend la direction du Syndicat d’initiative et du Comité des sports d’hiver de Chamonix, et crée avec Alfred Couttet l’école d’escalade des Gaillands. Il réalise par ailleurs aux côtés d’Armand Charlet la première hivernale de l’Aiguille de Bionnassay.
Roger Frison-Roche rayonnant de joie aspire pourtant à toujours plus. Et son rêve devient réalité quand, en 1930, il est admis à la Compagnie des guides de Chamonix. Lui, le Savoyard en exil, il n’en revient pas ! Major de sa promotion, il entre dans l’histoire en devenant le premier non Chamoniard à intégrer les rangs de la confrérie. L’exploit est inouï et ouvre la voie à d’autres distinctions.
En 1931, il devient ainsi secrétaire de l’aéro-club de Chamonix-Mont-Blanc. Et en 1933, il est le premier moniteur de ski officiellement diplômé par la Fédération française de ski. Tout au long de sa carrière, Roger Frison-Roche demeure un acteur de premier plan de la vie alpine. Entre 1958 et 1965, il préside le Syndicat national des guides de France (SNGM). Puis, en 1965, il participe à la fondation de l’Union internationale des associations de guides de montagne (UIAGM), dont il est président jusqu’en 1969. En 1974, il entre à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie. En 1992, enfin, il est décoré de la Légion d’honneur.
Roger Frison-Roche : Explorateur du monde
Pour Roger Frison-Roche, l’exploration du monde ne se limite pas aux frontières des Alpes. Guide de l’expédition alpine française au Hoggar, il rejoint le Sahara en 1935. Aux côtés du capitaine Raymond Coche, il effectue alors la première ascension de la Garet el Djenoun. Cette expédition fabuleuse lui inspire son premier livre, L’appel du Hoggar, qui paraît en 1936. Puis, en 1937, il traverse à dos de chameau le Grand erg occidental, dans le Sahara algérien. Seul avec Albert Plossu au cœur de 80 000 km2 de dunes arides. Il réitère en 1950 en parcourant avec George Tairraz 1000 km à dos de chameau dans le Sahara. Le film Le grand désert, qui découle de cette aventure, sonne le début de sa carrière de conférencier.
En 1955, il traverse le Sahara en 2 CV d’Alger à Niamey, puis il décide de changer de cap. Du désert brûlant de l’Afrique, il rejoint les glaces éternelles du Grand Nord. En 1956, il part en Laponie avec Jacques Arthaud pour le tournage du film Ces hommes de 30 000 ans. Entre 1966 et 1969, il entreprend enfin plusieurs expéditions dans le Grand Nord canadien ainsi qu’en Amérique du Nord. Roger Frison-Roche est un aventurier, quel que soit l’endroit où les vents le mènent. Porté par sa passion de la nature et des hommes, il ne veut que comprendre, découvrir et se rapprocher de l’essentiel. Sonder l’homme d’ici ou d’ailleurs pour simplement mieux l’aimer.
Roger Frison-Roche : Écrivain et auteur de Premier de cordée
Riche de ses voyages et de ses coups d’éclat, Roger Frison-Roche se lance dans l’écriture. Après avoir publié, en 1936, son premier roman, L’appel du Hoggar, il donne vie à son chef-d’œuvre en 1941. Premier de cordée paraît alors sous forme de feuilleton dans La dépêche algérienne, avant d’être édité chez Arthaud quelques mois plus tard. Le succès est immense, le triomphe planétaire. Best-seller vendu à plus de 3 millions d’exemplaires, cet hymne à la montagne met à l’honneur le dépassement de soi et la ténacité. Il est aussi un moyen pour l’auteur d’encourager les Français à garder espoir aux heures sombres de la guerre et de l’occupation. Consécration ultime, le roman est porté à l’écran par Louis Daquin en 1943. Premier de cordée devient ensuite une trilogie lorsqu’en 1948 il écrit La grande crevasse, puis Retour à la montagne, en 1957. Dernière incursion sous les feux des projecteurs, Roger Frison-Roche pose un regard attentif sur l’adaptation de ces trois livres à la télévision en 1999, peu avant de disparaître.
En 1981, l’auteur publie enfin son autobiographie, Le versant du soleil. Roger Frison-Roche est alors au sommet de sa gloire. Il jouit dans le monde d’une renommée formidable. Et pourtant… Au crépuscule de sa vie, il regrette parfois d’être enfermé dans un carcan dont il ne parvient pas à s’échapper. Lui qui toute son existence a bravé les limites, repoussé les frontières. Lui qui n’a cessé de défendre les libertés de tous, le respect de chacun. Tout cela le dépasse. Et quand il se livre cette année-là à Jacques Chancel dans Radioscopie, voilà ce qu’il dit : « J’ai le sentiment d’avoir été oublié. Quarante ans de métier, une douzaine de romans couronnés de succès, dont l’un fait partie des programmes scolaires, des titres traduits dans toutes les langues, des millions d’exemplaires vendus. Et je n’ai jamais eu de prix. » Un alpiniste est-il alors forcément cantonné aux seules ascensions ? Un journaliste est-il astreint aux reportages ? Un explorateur ne peut-il lui aussi devenir artiste ? Le parcours de Roger Frison-Roche témoigne bien du contraire.
Partir, revenir et raconter, voilà tout. En 1960, Roger Frison-Roche s’installe à Chamonix avec son épouse. Le 17 décembre 1999, il quitte ce monde comme il y est entré, dans la chaleur d’un café. Mais cette fois, il est chez lui, près de la montagne, au pied du mont Blanc. Son exil prend fin mais l’éclat de son œuvre continuera encore longtemps de nous éblouir.