Fine Alpine Art
Histoire des Alpes

John Ruskin – Ecrivain poète et peintre étroitement liée aux Alpes

Ecrit par Thomas Crauwels
John Ruskin - Ecrivain poète et peintre étroitement liée aux Alpes
John Ruskin par William Downey, 29 juin 1863, Londres, National Portrait Gallery
John Ruskin par William Downey, 29 juin 1863, Londres, National Portrait Gallery

La vie de John Ruskin (1819-1900), écrivain, poète, critique d’art et peintre britannique est étroitement liée aux Alpes

Grand voyageur s’étant rendu à de nombreuses reprises sur le continent et plus particulièrement en Suisse et en Italie, il aperçoit les Alpes pour la première fois depuis Schaffhouse, lors de son premier voyage en Suisse en 1833, alors qu’il a 14 ans. C’est tout de suite une révélation. L’amour de la montagne ne le quittera plus jamais et, plus que nulle part ailleurs, c’est en montagne que Ruskin se sent réellement à la maison, comme il l’écrit le 24 juillet 1845 en arrivant à Macugnaga, au pied du mont Rose, après plusieurs semaines passées en Italie.

John Ruskin, Macugnaga, 1845, lavis gris et brun sur encre brune, 29,8 x 40,5 cm, Yale Center for British Art.
John Ruskin, Macugnaga, 1845, lavis gris et brun sur encre brune, 29,8 x 40,5 cm, Yale Center for British Art.

Ruskin et Turner, Ruskin artiste

Son amour des Alpes vient en partie de sa grande admiration pour Joseph Mallord William Turner (1775-1856), l’un des plus grands peintres britanniques. Turner s’est lui aussi rendu à plusieurs reprises en Suisse, pays qu’il admirait beaucoup, notamment pour ses montagnes, et dont il a tiré plusieurs tableaux. L’origine de Modern Painters, l’un des écrits les plus connus de Ruskin, tire son origine dans sa volonté de prendre la défense de son peintre favori suite à des critiques. Ruskin met même ses pas dans ceux du peintre pour mieux comprendre Turner et son art et se rend à plusieurs reprises sur des sites qu’il a visités, afin de se rendre compte de visu des modifications apportées par Turner au paysage dans ses œuvres.

L’exemple le plus connu est celui du col du Faido, que Ruskin développe dans le quatrième volume de Modern Painters. Ruskin admirait tellement Turner qu’il cherchait à l’imiter et n’était pas satisfait de son œuvre si elle ne ressemblait pas à une aquarelle de Turner. Comme de nombreux artistes anglais amateurs de son époque, Ruskin ne peignait qu’à l’aquarelle ou au lavis, jamais à l’huile.

Ruskin photographie les Alpes

Ruskin ne se contentait pas de peindre et dessiner les Alpes, il les a aussi photographiées

Il fût en fait l’un des premiers à le faire, au moyen du daguerréotype, qu’il découvre en 1845 lors d’un séjour à Venise. Ruskin affirme même dans Deucalion, une autobiographie, avoir été le premier à prendre une photographie du Cervin, ou même de toute montagne suisse, le 8 août 1849. La photo a été prise depuis les bords du Riffelsee, un endroit qui était alors déjà relativement à la mode, semble-t-il quelques heures seulement avant que Gustave Dardel ne photographie le Cervin depuis le glacier de saint Théodule. Ruskin et son valet John Hobbs, surnommé George – car c’est en fait lui qui prend les photographies, Ruskin ne touche jamais aux aspects techniques – ont en fait pris de nombreux daguerréotypes dans les Alpes en 1849, surtout à Chamonix, où ils photographient la mer de Glace depuis Montanvert. L’enthousiasme pour la photographie cède la place à une critique hostile et après un voyage en Suisse et au Piémont en 1858, Ruskin ne prendra plus jamais une seule photographie. La plupart des 320 daguerréotypes pris par Ruskin ont été achetés par Ken et Jenny Jacobson, qui en ont tiré un très beau livre : Carrying off the palaces: John Ruskin’s lost daguerreotypes.

John Ruskin (John Hobbs), Cervin depuis le Riffelsee, 8 août 1849, daguerréotype, 10,2 x 7,6 cm, collection Ken et Jenny Jacobson
John Ruskin (John Hobbs), Cervin depuis le Riffelsee, 8 août 1849, daguerréotype, 10,2 x 7,6 cm, collection Ken et Jenny Jacobson

L’intérêt géologique pour les Alpes

L’intérêt de Ruskin pour la montagne est aussi géologique, et cela lui vient de sa lecture des Voyages dans les Alpes d’Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799), géologue, naturaliste et écrivain genevois. En fait, nombre de ses dessins et de ses daguerréotypes sont de nature géologique, c’est-à-dire qu’ils lui servent à mieux comprendre la forme, la formation et la nature des montagnes. Il a par exemple dessiné à de nombreuses reprises le Cervin, voulant démontrer que la célèbre montagne est en fait moins pentue qu’elle n’en l’air. Ruskin ne comprenait bien que ce qu’il dessinait. La conscience de l’érosion, nouvelle à l’époque, l’amenait à considérer les montagnes comme des ruines, les vestiges d’un état originel perdu, comme les ruines d’une muraille. L’architecte Viollet-le-Duc tentera en 1876 dans une étude de retrouver l’état original du massif du Mont-Blanc.

John Ruskin, fig. 35 de Modern Painters 4, p. 338.
John Ruskin, fig. 35 de Modern Painters 4, p. 338.

Chamonix et Venise, les deux destinations préférées de Ruskin

La vie de Ruskin peut en fait se lire comme un balancement entre Chamonix et Venise. Il affirme déjà en 1841 que Chamonix et Venise sont ses « deux destinations sur terre », quand bien même il n’a alors effectué qu’un long séjour à Venise et deux courts séjours à Chamonix. Il retournera à plusieurs reprises dans ces deux villes. Ruskin concevait en effet Chamonix – qu’il considérera toute sa vie se trouver en Suisse – comme la localité alpine par excellence, alors que Venise n’avait pas son pareil dans le monde pour lui.

Derrière cet amour pour Chamonix et Venise, il faut en fait comprendre que la première représente pour Ruskin la beauté de la nature et la seconde, celle de l’art, le critique appréciant particulièrement, outre Turner, l’art vénitien, plus particulièrement Tintoret. Et Ruskin perçoit l’architecture vénitienne à travers le prisme des Alpes : il reconnaît par exemple dans un palais vénitien les courbes de l’aiguille de Blaitière, sommet caractéristique de Chamonix. Cette proximité est notamment due au fait que Ruskin a écrit Modern Painters et The Stones of Venice en même temps.

John Ruskin, Aiguilles Charmoz, 1849, aquarelle, 30 x 40 cm, Lancaster University, The Ruskin Library
John Ruskin, Aiguilles Charmoz, 1849, aquarelle, 30 x 40 cm, Lancaster University, The Ruskin Library

Critique du tourisme et de l’alpinisme

Cette proximité montagne/architecture se retrouve dans l’une des formules les plus connues – et les plus reprises – du critique anglais, lorsqu’il désigne les montagnes comme les cathédrales de la Terre. S’il remettra en doute sa foi dans les dernières années de sa vie, Ruskin était en effet imprégné de sentiment religieux, ce qui l’amène à avoir une lecture spirituelle et moralisatrice de la société et de l’histoire, mais aussi du paysage et des montagnes. Ruskin critiquait ainsi très vertement l’alpinisme qui se développait à son époque et a eu des mots très durs suite à la fameuse catastrophe de la première ascension du Cervin en 1865. Ruskin portait également un regard très critique sur le tourisme et les développements qu’il induisait, que ce soit le train, les hôtels ou tout simplement l’afflux des voyageurs.

Ruskin et le changement climatique

Mais si Ruskin s’est détourné des montagnes dans les dernières années de sa vie, au point de ne pas se rendre à Chamonix en 1882, ce ne fut pas à cause du tourisme. S’il est mort en 1900, Ruskin a pu voir les premiers effets du réchauffement climatique en montagne. Et comme il l’écrit lui-même dans une lettre en 1879, il s’est senti trahi par les glaciers qui commençaient à fondre. Le choc a en effet dû être fort pour lui qui considérait les Alpes et surtout Chamonix comme un havre de paix hors du temps. Plus d’un siècle après sa mort, la fonte des glaciers et le tourisme dans les Alpes n’ont jamais été aussi importants.

Que dirait-il aujourd’hui ?

Ces articles pourraient vous plaire

Alpiniste Roger Frison Roche sur un rocher, derrière lui, le massif du mont Blanc
Histoire des Alpes

Roger Frison-Roche Aventurier des temps modernes

Tour à tour journaliste et correspondant de guerre, guide de haute montagne et alpiniste, explorateur et écrivain. Qui est cet homme qui défie ainsi la vie de lui résister ? D’une insatiable curiosité, amoureux de l’homme et de la nature, rien ne paraît entraver ses désirs. Précurseur et visionnaire, il est de toutes les premières. Découvrez l’histoire d’une légende des Alpes et d’ailleurs, Roger Frison-Roche, aventurier des temps modernes. Roger Frison-Roche : Naissance d’un aventurier des temps modernes Roger Frison-Roche voit le jour le 10 février 1906 à Paris, dans la brasserie que tiennent ses parents. Originaire de Beaufort-sur-Doron, le ...
Lire l'article
Histoire carte Dufour
Histoire des Alpes

Histoire de la carte Dufour Plan topographique de la Suisse

Au cœur du 19e siècle, un ingénieur d’avant-garde change le cours de l’histoire. Sous la direction audacieuse de Guillaume-Henri Dufour, le premier plan topographique de la Suisse au 1:100 000 voit le jour. Fruit d’un travail remarquable, il révolutionne le monde de la science, de l’armée et de l’administration. Je vous présente l’histoire de la carte Dufour, mère des cartes de la Confédération. Guillaume-Henri Dufour : Créateur du premier plan topographique de la Suisse Tout commence lorsque Guillaume-Henri Dufour est nommé quartier-maître général de l’armée suisse en 1832. Depuis plusieurs années déjà, la Suisse envisage d’achever la couverture topographique de ...
Lire l'article
Histoire des cristalliers au sommet des Alpes
Histoire des Alpes

Histoire des cristalliers au sommet des Alpes

De tout temps, les hommes ont gravi les montagnes, fascinés par l’éclat lumineux des cristaux. Chasseurs de trésors explorant les hauteurs. Amateurs de minéraux et de sensations fortes. Je vous raconte ici l’histoire des cristalliers au sommet des Alpes. Éclosion des cristaux dans le massif du Mont-Blanc Tout commence il y a 25 millions d’années. La Terre tremble, les abysses bouillonnent. Aux confins de l’Afrique et de l’Europe, les plaques tectoniques s’affrontent et se déchirent. Pendant leur lutte sans merci, des cavités se forment au cœur de la roche. L’eau s’y infiltre, heureuse d’échapper pour un temps à la furie ...
Lire l'article
Peinture d'Horace Bénédict de Saussure et ses compagnons en train de franchir un glacier pour aller au mont Blanc
Histoire des Alpes

Les Alpes dans la littérature 3e volet La montagne, de l’âge d’or de l’alpinisme jusqu’à nos jours

Mise en lumière par les auteurs romantiques, la montagne devient au 19e siècle le théâtre de tous les exploits. À l’heure de sa conquête, elle brille de mille feux, inspire les poètes comme les alpinistes. Jusqu’au jour où l’homme, repu de sa bravoure, s’aperçoit que les sommets conduisent au repos qu’il espérait tant. Trop tard, peut-être, l’avenir nous le dira. Dans ce troisième et dernier volet, je vous emmène à la découverte des Alpes dans la littérature de l’âge d’or de l’alpinisme à nos jours tourmentés. Les récits d’ascension : les alpinistes à la conquête de la littérature À l’âge ...
Lire l'article
Peinture d'un voilier sur le lac Léman avec vue sur les Dents du Midi
Histoire des Alpes

Les Alpes dans la littérature 2e volet La montagne à l’âge d’or du romantisme

Émanant des ténèbres, les Alpes se font jour. Mise en lumière par la littérature romantique, la montagne est sur le point d’ouvrir son cœur à l’homme. Elle s’emporte et rayonne sous la plume lyrique des grands écrivains. Une nouvelle ère commence au royaume céleste. Après avoir exploré la genèse des récits alpins, je vous emmène dans ce deuxième volet à la découverte des Alpes dans la littérature à l’âge d’or du romantisme. Les Alpes dans la littérature : À l’âge d’or du romantisme Au 19e siècle, le mouvement romantique prend son envol. D’un royaume menaçant, les Alpes deviennent le lieu ...
Lire l'article
photo du buet et mont blanc en hiver
Histoire des Alpes

Les Alpes dans la littérature 1e volet La montagne de l’aube de l’écriture aux prémices du romantisme

Les Alpes, de tout temps, ont inspiré les hommes. Combattants et poètes, penseurs et romanciers, ils nourrissent leur art et leur réflexion de la force des montagnes et de leur immensité. Créature redoutable ou muse divine, symbole de puissance ou de solitude, la montagne devient tour à tour source de lumière ou d’obscurité. Réveillant en nous les plus vives émotions comme les instincts les plus sauvages, elle nous guide de la transcendance à la contemplation, de la rage au sublime. Et, à la fin du voyage, nous ramène à nous-même. N’est-ce pas là l’ambition de toute aventure ? Dans ce ...
Lire l'article
Histoire des guides de haute montagne
Histoire des Alpes

Gardiens des Alpes Histoire des guides de haute montagne

En 1942, Roger Frison-Roche met en lumière le métier de guide de haute montagne dans son célèbre roman Premier de cordée. Le monde découvre alors le savoir-faire exceptionnel de ces passeurs de cols restés jusqu’alors dans l’ombre des plus hauts sommets. Je vous raconte ici l’histoire des gardiens des Alpes, virtuoses aguerris de l’alpinisme. Les gardiens des Alpes : Passeurs de cols de l’Antiquité à la Renaissance Depuis les temps les plus anciens, les armées font appel aux habitants des montagnes pour les guider dans les méandres de ces lieux hostiles. Traverser les cols est une nécessité si l’on veut ...
Lire l'article
Aiguille verte - encadrement photo bois des montagnes de l'aiguille verte chamonix dans le brouillard et les nuages
Histoire des Alpes

Bradford Washburn Précurseur de la photographie aérienne

Icône de l’alpinisme et cartographe de renom, explorateur visionnaire et photographe de génie, Bradford Washburn réinvente l’art de la montagne comme il marque l’histoire. Résolument et avec passion, il rejoint les sommets pour mieux les sublimer. Aux côtés de son épouse Barbara Washburn, il voue sa vie à la nature vertigineuse, des hauteurs de l’Alaska aux confins de l’Himalaya. Portrait d’un aventurier de légende, Bradford Washburn, précurseur de la photographie aérienne en haute montagne. Bradford Washburn : Naissance d’un alpiniste de légende au sommet de l’Aiguille Verte Henry Bradford Washburn Jr. a vu le jour le 7 juin 1910 à ...
Lire l'article
photo du buet et mont blanc en hiver
Histoire des Alpes

Gaston Rébuffat Poète des cimes et alpiniste d’exception

Combatif et volontaire, Gaston Rébuffat s’accroche à la montagne comme il empoigne la vie, avec une passion ardente mêlée d’élégance. Des calanques de Marseille, il devient l’un des plus brillants alpinistes de son temps. Détenteur des plus audacieux records, il est le premier homme à réussir l’ascension des six grandes faces nord des Alpes. Membre de l’expédition historique au sommet de l’Annapurna en 1950, écrivain et cinéaste de renom, il reste dans nos mémoires comme l’un des plus célèbres guides de haute montagne de la vallée de Chamonix. Portrait de Gaston Rébuffat, poète des cimes et alpiniste d’exception. Gaston Rébuffat ...
Lire l'article
Histoire des Alpes

Portrait de l’alpiniste Lionel Terray Conquérant virtuose de la haute montagne

Lionel Terray, alpiniste prodigieux au destin de légende, vit au rythme de la montagne et de ses crêtes titanesques. Nourrissant son cœur du parfum des cimes, son corps s’agrippe à la roche comme s’ils ne faisaient qu’un. Des plus hauts sommets des Alpes aux neiges éternelles de l’Himalaya, des Andes fabuleuses aux glaces de l’Alaska, il triomphe des plus périlleuses traversées. Portrait d’un aventurier au parcours exceptionnel, l’alpiniste Lionel Terray, conquérant virtuose de la haute montagne. Lionel Terray : Naissance d’un alpiniste d’exception dans les Alpes françaises Le 25 juillet 1921 à Grenoble, une étoile voit le jour. Conquérant des ...
Lire l'article

Vous souhaitez recevoir 1 fois par mois des articles sur ce sujet ?

Inscrivez-vous gratuitement au Fine Alpine Post :
Newsletter - News of Above
Thomas Crauwels

Thomas Crauwels

Je réponds généralement très rapidement lorsque j'ai du réseau.

I will be back soon

Thomas Crauwels
Bonjour, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
WhatsApp