Angelo Mosso (1846-1910) est un médecin, physiologiste et alpiniste italien. Il s’intéresse aux Alpes et à leur impact non pas physique, mais physiologique, sur le corps humain. Les Alpes sont perçues comme l’endroit privilégié pour répondre à des questions brûlantes de cette fin de siècle concernant le corps humain, notamment celle de la réaction des nerfs lors de changements d’environnements ou encore la dépense d’énergie et la fatigue lors d’expérimentations. On est donc loin des Alpes comme playground of Europe comme le formulait Leslie Stephen. Mosso notait que les effets de la fatigue sont plus forts en montagne, mais durent aussi plus longtemps.
C’est à la fin des années 1860 que Mosso note ses premières observations sur la physiologie alpine, dans des carnets emportés lors de ses excursions dans les Alpes, un environnement où la seule constante selon lui était la variété. Mais il faut attendre les années 1870 pour que Mosso commence à transférer ses recherches de laboratoire sur le terrain. Mosso emmenait sur le terrain et plus particulièrement sur le Mont-Rose ses instruments et reproduisait en haute montagne les expérimentations menées au préalable en laboratoire. C’est donc une « fuite de laboratoire ».
Mal des montagnes : température du corps en montagne
Les causes exactes du mal des montagnes, expression remontant aux années 1840, ont occupé les chercheurs pendant des années. Louis Lortet, directeur du musée d’histoire naturelle de Lyon, pensait que l’organisme humain ne pouvait pas lutter contre un environnement hostile comme l’est la haute montagne et garder sa température normale. Observant que la température de son corps était descendue de plusieurs degrés lors de son ascension du mont Blanc, il en déduit en 1869 que le mal de montagne est dû à ce refroidissement corporel. Le physiologite suisse François-Alphonse Forel réfute Lortet suite à ses propres expériences en affirmant qu’au contraire la température corporelle augmente, invalidant selon lui la thèse de Lorteret. Mosso confirme ce résultat au sommet du Monviso en 1878, où il mesure et enregistre les courbes de sa respiration, de son pouls et de sa température corporelle.
Mal des montagnes : respiration
Paul Bert, dans son ouvrage La Pression barométrique (1878), affirme quant à lui que l’origine du mal des montagnes est à chercher dans le sang. Mosso, qui a été marqué par le livre au point de l’emporter dans les Alpes, prend le contre-pied du français en affirmant que les effets du mal des montagnes sont dus à des problèmes de nerfs, en s’appuyant notamment sur ses recherches sur la respiration.
Mosso pensait que l’organisme ingurgite plus d’oxygène en plaine qu’il n’en a réellement besoin, résultat qu’il confirme en 1882 en menant des expériences (notamment sur le sommeil) et en mesurant la respiration au Theodulpass, un endroit où il n’y a que 2/3 de l’air se trouvant en plaine. Les mesures de Mosso montrent que la respiration non seulement ne se fait pas plus intense, mais diminue légèrement, sans pour autant que l’organisme ne soit affecté. Ce résultat lui a donné l’idée de se rendre encore plus en altitude afin de trouver les limites de cette respiration luxueuse. Mais cela l’amène également à la conclusion que le siège du problème du mal des montagnes est à chercher dans le système nerveux et non dans le sang, au contraire de ce qu’affirmait Bert. Mosso a aussi remarqué que lors de mal des montagnes et surtout s’il est sévère, les pauses séparant deux respirations se font plus longues, un phénomène également remarqué chez les dormeurs.
Mosso mène des recherches physiologistes étendues lorsqu’il passe un mois au sommet du Mont-Rose, à la cabane Margherita, en 1894, un projet qu’il avait en tête depuis les années 1870. L’enjeu était notamment d’étudier le mal des montagnes. Les premières lignes de Mosso sont à peine lisibles lorsqu’il arrive à la cabane : il parle de maux de tête, nausée, vomissement.
Les jours suivants, il essaie d’accumuler des indices prouvant que le mal des montagnes n’est pas dû à l’anémie et à un manque d’oxygène dans le sang. Mais Mosso reconnaîtra plus tard qu’il avait tort et que le mal des montagnes est bien dû à un manque d’oxygène, donnant ainsi raison à Bert.
Première ascension hivernale au Mont-Rose et recherches sur les couleurs
Mosso réussit la première ascension hivernale du Mont-Rose en février 1885, qu’il raconte dans Una Ascensione d’inverno al Monte Rosa. Mosso annonce dans les dernières pages de son livre qu’il en publiera bientôt un autre, portant sur les effets de la fatigue en montagne. Ce livre, La fatica, qui lui a donné un grand succès,ne paraît qu’en 1891. À la suite de cette ascension, il a copié (en français) dans son carnet un vers de Lamartine : « Et moi, me voici seul sur ces confins du monde ! » Au sommet, Mosso note l’altitude, l’heure et la température. Il a passé 15 minutes au sommet. Mosso explique qu’il était très fatigué, ce qui explique son écriture tremblante.
Mosso justifie l’ascension hivernale du Mont-Rose par le besoin de ressentir une grande fatigue, surtout oculaire. Mosso pensait pouvoir distinguer la fatigue directe causée par l’éblouissement du soleil de la fatigue indirecte causée par le travail musculaire – on s’intéresse depuis Goethe et son Farbenlehre aux limites de la vision découlant d’un soleil ardent. Mosso pensait que la fatigue alpine des yeux et des muscles perturbait la perception des couleurs. La rupture de son manomètre à mercure avec lequel il pensait mesurer la fatigue des muscles respiratoires l’a empêché de vérifier son hypothèse. Malgré tout Mosso porte une attention toute particulière lors de cette excursion aux couleurs. Il tient en effet à montrer que même dans un monde de roches noires et de neige et de glace blanche, la lumière changeante produit des effets de lumières inattendus.
Jusque dans les années 1920, les physiologistes et oculistes turinois emmènent en montagne des chartes de couleurs pour mener des recherches sur les modifications de la perception des couleurs causées par la fatigue. Mais presque tous arrivent à la conclusion inverse de Mosso : la perception des couleurs est amoindrie par la fatigue oculaire.