Entendez-vous l’écho d’une montagne impénétrable ? Aux confins de la Suisse et de l’Italie, elle se dérobe et vit dans l’ombre de ses sœurs éblouissantes. Cachant aux yeux du monde son infinie beauté. Je vous dévoile aujourd’hui l’histoire de la Dent d’Hérens, trésor insaisissable des Alpes valaisannes.
La Dent d’Hérens : Naissance d’un géant des Alpes à la frontière de la Suisse et de l’Italie
La Dent d’Hérens surgit il y a plusieurs millions d’années de l’affrontement brutal des plaques tectoniques d’Afrique et de l’Europe. Du plissement des roches, la montagne s’éveille et pointe vers le ciel dans un élan soudain d’où jaillit sa beauté. Surplombant les Alpes valaisannes, le sommet s’élève à 4173 mètres d’altitude à la frontière de la Suisse et de l’Italie. Ses crêtes s’étendent du Tiefmattenjoch au col de Tournanche. Et si l’on suit ainsi son arête orientale, on s’aperçoit qu’elle forme avec l’arête du Lion menant au Cervin l’une des plus longues arêtes des Alpes. Quatre kilomètres d’un voyage entre Terre et ciel qui relie deux géants au croisement des mondes.
Tout comme le Cervin, son frère de légende, la Dent d’Hérens est constituée des roches métamorphiques de la nappe de la Dent Blanche. Mélange d’orthogneiss, de granite et de gneiss œillé, la montagne scintille et arbore avec fierté son histoire millénaire. Mais elle recèle d’autres secrets fascinants. Lorsqu’on la contemple des hauteurs de la Suisse, la Dent d’Hérens semble briller d’un tout autre reflet. D’imposants glaciers suspendus offrent à sa paroi nord une parure unique. Et sous cette cuirasse étincelante, se cache un véritable trésor. Une langue de l’unité de Valpelline recouvre en effet les flancs escarpés de sa face nord. Camaïeu de gneiss, gabbro et granite qui s’unissent à la blancheur du marbre pour mieux faire l’éloge de la Dent d’Hérens, cime sauvage et méconnue.
La Dent d’Hérens : Trésor insaisissable des Alpes valaisannes
Car la montagne se fait discrète. Telle une muse insaisissable, elle échappe au regard des hommes autant qu’elle captive leur imagination. Maîtresse dans l’art de rester invisible, elle demeure dans l’ombre des titans qu’elle côtoie. Du val d’Anniviers à la vallée de Zermatt, elle est ainsi masquée par les cimes colossales de la Couronne impériale de Zinal. Du Gornergrat, la Dent d’Hérens se dérobe derrière le Cervin. Et du célèbre col de la Gemmi, elle se dissimule derrière la Dent Blanche. Si vous souhaitez percer le mystère de ce sommet grandiose, il vous faudra alors aller à sa rencontre. De Zermatt à la cabane de Schönbiel, un sentier magnifique vous guidera ainsi le long de la vallée et du glacier de Zmutt jusqu’au pied du Cervin. Et de là, vous aurez une vue imprenable sur l’un des plus beaux sommets de plus de 4000 mètres des Alpes valaisannes. La Dent d’Hérens en majesté, d’une envergure remarquable.
Première ascension de la Dent d’Hérens : exploit de la cordée de Melchior Anderegg
Gravir la Dent d’Hérens relève de l’aventure. Quelle que soit la voie que l’on emprunte, l’expédition est longue jusqu’à son sommet. Montagne isolée aux confins du Valais, elle exige de l’homme la plus grande ténacité. Et de tous les alpinistes conquérants des Alpes, c’est Melchior Anderegg qui réussit l’exploit. Le 12 août 1863, il accompagne William Edward Hall, Florence Crauford Grove, Reginald John Somerled MacDonald et Montagu Woodmass, assisté de Peter Perren et Jean-Pierre Cachat, au sommet de la Dent d’Hérens.
Cette première ascension ouvre la voie normale par son versant italien. Au départ du glacier des Grandes Murailles, les alpinistes s’engagent le long de la face sud-ouest de la Dent d’Hérens. Course périlleuse au cœur d’un paysage exceptionnel. Les hommes se hissent sur les pentes glacées et les rochers abrupts. Ils affrontent des dalles si imposantes que J.S. MacDonald avance l’idée qu’un malin les aurait fait venir du Cervin lui-même ! Sous un soleil de plomb, la cordée continue de progresser. Ils restent concentrés, ne cèdent jamais rien.
Puis vient le dernier pas qui les mène enfin au sommet de la Dent d’Hérens. Ivres de bonheur, ils savourent l’instant. Épuisés mais heureux d’avoir réussi ensemble cette prouesse historique. Quelques jours plus tôt, Edward Whymper a lui aussi cherché à vaincre la montagne. Avec Jean Antoine Carrel et Luc Meynet, ils ont tenté leur chance par l’arête ouest de la Dent d’Hérens. Mais face à l’instabilité de la roche, l’alpiniste a dû abandonner, vivant cette défaite comme un terrible échec.
La face nord de la Dent d’Hérens : ascension d’un mur de glace infranchissable
Les ascensions s’enchaînent ensuite au sommet de la Dent d’Hérens. Le 16 janvier 1910, M. Piacenza, J.-J. Carrel et B. Pellissier réalisent la première hivernale de la montagne. Peu à peu, ses voies inexplorées sont conquises par l’homme. Ses arêtes s’ouvrent au monde, puis vient le tour de ses faces. Et c’est en 1925 qu’une cordée parvient pour la première fois à gravir la paroi nord de la Dent d’Hérens. 1300 mètres de dénivelé au cœur d’un paysage glaciaire implacable et superbe. Le 10 août, Willi Welzenbach et Eugen Allwein s’engagent sur cette face vertigineuse bardée de séracs qui domine le Tiefmattengletscher. À force d’efforts et de courage, ils surmontent l’épreuve et rejoignent avec succès la cime de la Dent d’Hérens.
Grâce à leur audace, ils ouvrent ce jour-là une voie directe le long de la face nord de la montagne. Une course aux limites de l’extrême qui suscite l’appétit des plus grands glaciéristes. Mais par-delà sa bravoure, la cordée doit également sa victoire aux enseignements tirés de l’expédition menée le 2 août 1923 par George Ingle Finch, accompagné de G. Forster et R. Peto. Le long de cette paroi nord aux allures imprenables, il trace une voie jusqu’aux grandes terrasses et glaciers suspendus qui protègent le sommet de toute incursion. Impossible pour lui d’ouvrir une brèche dans ce rempart défensif. Il n’a alors d’autre choix que de dévier sa trajectoire en tentant de rejoindre l’arête est de la Dent d’Hérens. Après avoir atteint une terrasse par la suite baptisée Finch en son honneur, le voilà contraint d’affronter une rimaye béante pour pouvoir atteindre la fameuse arête. Une fois franchi cet obstacle de glace, il conduit la cordée au sommet de la montagne par son arête est. Le succès est de mise mais l’épreuve redoutable.
Ascension de la face nord de la Dent d’Hérens : montagne sauvage et implacable
La Dent d’Hérens, trésor caché des Alpes valaisannes, devient le théâtre des joies les plus intenses comme des pires drames. En mars 1963, les alpinistes italiens R. Merendi, R. Daguin et G. Bosco disparaissent, sans doute emportés par une avalanche, alors qu’ils tentaient d’affronter sa paroi nord en hiver. C’est une expédition polonaise, allemande et suisse qui leur fait honneur en réalisant en 1964 la première ascension hivernale de cette face nord si résistante aux assauts de l’homme.
Le 14 mars, Jerzy Hajdukiewicz et Krzysztof Berbeka se lancent dans l’aventure aux côtés de Gerhard Deves, Leo Herncarek, Eckhart Grassmann, Pierre Monkewitz et Dieter Naef. Le défi est immense mais ils persévèrent et atteignent le sommet le 17 mars. La haute montagne, malheureusement, réserve parfois aux alpinistes qui la foulent un sort bien cruel. Le 18 mars, alors qu’il descendait, Krzysztof Berbeka perd l’équilibre, entraînant dans sa chute Jerzy Hajdukiewicz. 200 mètres dans le vide qui aurait pu être fatals à toute la cordée si Dieter Naef n’avait pu les retenir.
Les deux Polonais souffrant de fractures, l’équipe décide de se diviser. Et pendant que Gerhard Deves et Dieter Naef veillent sur leurs blessés, les autres poursuivent leur descente en quête de secours. Quatre jours d’une attente interminable. Quatre longues journées où les alpinistes voient défiler leur vie avant d’être enfin pris en charge par les services hospitaliers. Mais les efforts de leurs compagnons comme des secouristes n’auront pas suffi. Krzysztof Berbeka meurt des suites de ses blessures peu de temps après. Quant à Leo Herncarek et Dieter Naef, ils se font amputer des orteils pour l’un et des pieds pour l’autre. La haute montagne est aussi belle qu’elle est dangereuse.
Isolée et sauvage, la Dent d’Hérens demeure aujourd’hui un joyau préservé des Alpes valaisannes. Loin de l’effervescence de la Haute route Chamonix-Zermatt. Loin aussi des cimes illustres les plus fréquentées. Elle offre à celui qui lui prête attention une expérience inoubliable. Un voyage exaltant et rude au cœur de paysages somptueux, comme une quête initiatique à la rencontre de la haute montagne.