Je vous raconte ici l’histoire d’une rencontre. D’un rendez-vous sous les étoiles, d’un don du ciel qui se mérite. Quand la montagne se fait jour au lendemain d’une tempête, qu’elle transperce la brume pour conquérir mon cœur. Et que jaillit de cette fulgurance une photographie unique, une œuvre exceptionnelle. Je vous raconte l’histoire d’un portrait de sommet de sa genèse à l’impression.
Genèse d’une photographie des Alpes : Quand la montagne se fait muse
Aux origines de mon art se trouve une montagne. Un sommet qui m’inspire et m’insuffle l’envie de le photographier. Ce matin-là, il s’agissait de l’Obergabelhorn, géant vertigineux des Alpes valaisannes. Dès que je l’ai aperçu, plusieurs années plus tôt, j’ai su que c’était lui. Que nous serions liés pour la vie et qu’à chaque saison je gravirais face à ses flancs pour l’immortaliser. C’était en 2013, le temps a passé, et mon amour pour lui n’a jamais décliné. Il a évolué, bien sûr, et je l’ai vu changer. Perdre de sa blancheur, pleurer la fonte de ses glaciers. À travers mes œuvres, j’ai témoigné de sa métamorphose. Je n’ai jamais cessé de le photographier.
Mais un beau jour, une sensation étrange s’est emparée de moi. L’intuition soudaine que l’Obergabelhorn m’invitait à lui. Je venais de réaliser mon œuvre en noir et blanc Glowing Matterhorn en l’honneur du Cervin. Révélée par la lumière du lever du jour, la montagne était sublime. J’aime les teintes de l’aube naissante, ces lueurs douces et envoûtantes qui semblent dévoiler l’âme des sommets. En plongeant mon regard au cœur de cette œuvre, j’y ai soudain songé. Comme une évidence, une nécessité. Il fallait que je brosse un portrait comparable de l’Obergabelhorn. Sa silhouette s’y prêtait, l’orientation de ses parois aussi. J’en étais certain, cette pyramide de roche et ses glaces éternelles sauraient transcender les reflets de l’aurore.
Histoire d’un portrait de sommet : Prémices d’un voyage entre Terre et ciel
Au fond de moi, je le savais, la montagne m’appelait. Mais, une œuvre se mûrit. Elle ne surgit ni du hasard ni de l’errance. Je devais prendre en compte les éphémérides. Repérer l’heure et le jour de l’année où le soleil illumine selon le bon angle la face nord-est de l’Obergabelhorn. À force d’expérience, je sais déterminer les jours propices à la création. Et grâce à Google Earth, je peux simuler le cycle du soleil et le mouvement des ombres sur la montagne. Alors, j’ai cherché des heures durant. Trouver le bon moment et l’angle idéal pour offrir au sommet un portrait de légende.
L’enjeu était de taille et le verdict sans appel. Je disposais d’à peine un mois pour immortaliser l’Obergabelhorn. Une brèche étroite dans l’infini du temps. Fallait-il encore que les vents s’y prêtent. Que les éléments fusionnent, offrant à la montagne sa parure d’hiver. Seule la neige figée par le froid pouvait doter mon œuvre d’une touche divine. Elle seule pouvait redessiner le sommet. Et si je voulais que la face indomptable de l’Obergabelhorn miroite au soleil, il me restait à espérer qu’aucun nuage ne viendrait entraver le tableau.
Il m’a fallu enfin étudier les cartes pour découvrir le bon point de vue. L’angle parfait qui me permettrait de saisir la montagne comme j’en rêvais. Je la voulais inaccessible et colossale. Je l’espérais grandiose, comme venue d’un autre monde. Là encore, j’ai conjugué les données précieuses de Google Earth à ma propre expérience pour décider de l’endroit d’où naîtrait ce chef-d’œuvre.
Histoire d’un portrait de sommet : À la rencontre de l’Obergabelhorn
J’ai longtemps attendu pour que vienne cette heure. Alors que les vents furieux s’éloignaient de Zinal, j’ai rejoint la montagne. Avec mon compagnon de cordée, j’ai remonté le glacier de Zinal à skis de randonnée pour me rendre à la cabane du Mountet, au cœur de la Couronne impériale. En cette fin d’hiver 2021, le temps était glacial. À la nuit tombée, nous sentions le froid s’engouffrer à l’intérieur du refuge jusque dans nos duvets. Il faisait moins de 5 °C dans notre dortoir et nous ne savions plus comment nous réchauffer. Quand il s’insinue en vous inexorablement, le froid devient très vite un ennemi redoutable.
Après quelques heures volées d’un sommeil agité, nous nous sommes levés bien avant tout le monde. En silence, nous avons quitté la cabane au milieu de la nuit. Nous nous engagions dans une rude épreuve, la fatigue au corps et l’âme vagabonde, mais nous devions y aller. Pour réussir à photographier l’Obergabelhorn aux toutes premières lueurs du jour, nous devions rejoindre au plus vite notre belvédère.
Je me souviens très bien de cette traversée. Le froid régnait encore comme rarement dans les Alpes à cette saison. La température avoisinait – 20 °C. Marcher nous réchauffait un peu, mais une fois arrivés à destination, le froid s’est emparé de nous sans aucune pitié. Face à l’Obergabelhorn, j’ai déployé mon matériel, installé mon trépied. La nuit était encore noire quand j’ai commencé à le photographier. Veillant à ce que mon appareil respecte un temps d’exposition de 8 secondes, je suis resté là, à contempler le ciel. L’air glacial me brûlait les lèvres et me mordait les doigts. Mais, j’étais là où le destin m’avait conduit. À l’endroit même où la montagne m’avait prié de la retrouver. À la confluence des mondes, au cœur de toute chose. J’étais au bon endroit au bon moment pour saisir ma chance et célébrer enfin la splendeur des Alpes.
Naissance d’une photographie d’art : Au sommet de l’Obergabelhorn
Mais on a beau tout faire pour accomplir son rêve, il reste dans la vie une part d’impondérable. Je respirais à peine dans l’ombre vacillante mais rien ne se passait. Le souffle des hauteurs, le murmure du vent. La montagne évanescente continuait de dormir. Je me concentrais sur ma tâche, tentant plusieurs fois de faire la mise au point malgré la nuit tenace. Je me brisais les yeux sur le petit écran de mon appareil photo sans vraiment réussir à savoir si mes réglages étaient ou non les bons. Je naviguais alors en pleine incertitude. Perdu au milieu de nulle part. Et il faisait si froid.
Puis, le jour s’est doucement levé. Une lueur imperceptible comme un élan d’espoir. Noyé parmi mes doutes, j’étais certain d’une chose : le sort serait scellé d’une minute à l’autre. Chaque seconde compte quand on immortalise les hauts sommets des Alpes. Je restais immobile, espérant un miracle, mais les pensées tournoyaient dans mon esprit tremblant. Allais-je réussir à saisir l’instant ? Mon appareil était-il bien réglé ? L’Obergabelhorn allait-il accepter de se dévoiler ? Mon art finalement n’était-il que mirage ? Je n’étais plus certain de rien quand la montagne a tout à coup jailli de l’ombre, éblouissante et solennelle. Autour d’elle, le ciel était limpide, sans brume et sans nuages. J’avais tout mis en œuvre pour réaliser ce portrait du sommet. Je devais désormais lâcher prise, songer au présent et faire confiance à la nature et à la destinée.
Histoire d’un portrait de sommet : De sa mise en lumière à son impression
Dès que le soleil est apparu et a percé l’horizon, j’ai replié mon matériel et nous sommes redescendus à skis vers la cabane du Mountet. Les premières cordées d’alpinistes commençaient tout juste de quitter la cabane. J’ignorais encore si j’avais rempli ma mission et c’est le cœur fébrile que je suis rentré chez moi. Sur l’écran de mon ordinateur, j’ai fait défiler les photos du matin. Floues, ratées, trop sombres ou mal cadrées. Je commençais à perdre espoir quand soudain je l’ai vue. Le portrait de mes rêves. La photographie parfaite. Je l’avais tellement appelée de mes vœux que je n’osais y croire. Cet effluve impalpable qui fait la différence. Ce souffle imperceptible qui confine au génie. La nature a créé le plus beau des chefs-d’œuvre et j’ai réussi à l’immortaliser. Comment avais-je pu douter d’elle à ce point ?
L’Obergabelhorn m’avait ouvert son cœur. À moi désormais de le mettre en lumière. Je n’interviens sur mes œuvres que par touches légères. Par égard pour la montagne, pour ne pas la trahir. Cette photographie, je l’ai recadrée car mon trépied n’était pas droit. La couleur a laissé place au noir et blanc et j’ai joué sur les contrastes pour lui insuffler une âme. Pour que de l’ombre à la lumière, elle vous raconte notre histoire.
Aux merveilles de la nature, je superpose mon regard. Comme un fervent admirateur magnifie l’œuvre de sa muse. Jamais je ne réalise deux fois le même portrait. Car la lumière évolue, les tonalités changent. L’intensité des bleus varie comme les blancs s’évanouissent. La nature ne cesse de se réinventer et le photographe doit rester à l’affût de ses métamorphoses.
Puis, vient le temps pour l’œuvre de prendre son envol. Dans son nouvel habit de noir et de blanc, ce fascinant portrait de l’Obergabelhorn a quitté son écrin. Je l’ai confié à mon imprimeur pour qu’il m’en présente une première épreuve. L’étape est délicate car il faut appliquer le profil du papier sur la photographie. Un rien peut tout changer. Une tonalité légèrement différente et le charme est rompu. Ce jour-là, l’épreuve était parfaite, conforme à l’œuvre d’art que je désirais tant. Alors, la photographie a déployé ses ailes. Prête à conquérir son public, prête à vous faire vivre le plus beau des voyages.
Voilà quel est mon art. L’histoire d’un portrait de sommet qui se mêle à nos vies. La genèse tumultueuse et enivrante d’une photographie. Née d’un rêve troublant, d’une évidence folle, l’œuvre chemine jusqu’à vous. Au-delà des obstacles, et dans le ciel des Alpes, je cueille l’art de la montagne, je le façonne, je le sublime pour vous le transmettre et en perpétuer la mémoire précieuse.