La Dent Blanche se dresse, magistrale, au cœur des Alpes valaisannes. Emblème d’Évolène, elle domine le val d’Hérens du haut de ses 4357 mètres d’altitude. Pyramide de roche émergeant d’une mer de glace, elle s’impose à nous, indomptable et somptueuse. Dans sa nouvelle L’Auberge, parue en 1886, Guy de Maupassant la nomme la « monstrueuse coquette ». Il est indiscutable qu’élégante et gigantesque, la montagne nous impressionne autant qu’elle nous envoûte. Mais, quels sont les secrets de ce géant de gneiss ? Portrait d’un sommet exceptionnel, la Dent Blanche, joyau de la Couronne impériale de Zinal.
La Dent Blanche | Naissance d’un géant de gneiss au cœur des Alpes suisses
La Dent Blanche naît à l’aube des temps du corps-à-corps furieux de titans millénaires. Le combat est rude et les mondes s’affrontent. Mais, la plaque africaine, d’une puissance redoutable, parvient à faire ployer la plaque européenne, contrainte alors de se réfugier dans les entrailles rougeoyantes d’une Terre en devenir. Victorieuse, la plaque tectonique africaine progresse vers le nord, entraînant avec elle sédiments marins et roches magmatiques. Des plissements de sa croûte jaillissent les montagnes.
Quand tout à coup, le vent tourne et la révolte gronde. Échappant à sa vigilance, un fragment de son écorce se libère de son joug. À la conquête du val d’Anniviers, la plaque de la Dent Blanche façonne désormais son propre territoire. De la Dent du Perroc au Zinalrothorn, elle se fait une place parmi les plus grandes. De ses mouvements émergent des sommets fabuleux et, dominant son royaume, la Dent Blanche surgit. Ornée par endroits de métadiorite quartzique, elle est constituée du gneiss granitique d’Arolla. Par cette roche magmatique issue des profondeurs de l’océan, l’histoire de la Dent Blanche s’unit à celle du Cervin. Et leurs âmes entrent en résonance à la cime des Alpes, elle reine du val d’Hérens et lui seigneur du Valais.
Histoire de la Dent Blanche | Montagne emblématique du val d’Hérens
Joyau de la Couronne impériale de Zinal, la Dent Blanche se dresse à 4357 mètres d’altitude au-dessus du village d’Évolène. Cette montagne emblématique du district d’Hérens s’élève au 16e rang des sommets les plus hauts des Alpes. Ses crêtes délimitent une frontière linguistique au cœur des Alpes valaisannes : le long du val d’Hérens et du val d’Anniviers, on parle français, tandis qu’on s’exprime en allemand dans la vallée de Zermatt. La Dent Blanche exhibe aux yeux du monde sa silhouette colossale. Pyramide parfaite aux allures grandioses, elle étend ses arêtes vers les points cardinaux comme si, à leur confluence, la terre décidait de s’unir aux étoiles. À l’est défile l’arête des Quatre Ânes, au sud l’arête de Wandflue, à l’ouest l’arête de Ferpècle, et son arête nord conduit au Grand Cornier.
La montagne surplombe bien sûr des glaciers, celui de Ferpècle, de la Dent Blanche, du Grand Cornier et le Schönbielgletscher. Mais, ses flancs n’abritent que très peu de glace. Seule la neige de l’hiver la rend étincelante. Pourquoi alors l’avoir baptisée ainsi ? Selon la légende, l’erreur aurait été commise par un moine cartographe, Josef Anton Berchtold, qui, au début du XIXe siècle, aurait interverti les noms de la Dent Blanche et de la Dent d’Hérens. Et lorsqu’en 1861 le bureau topographique fédéral publie la feuille 22 de la carte Dufour, la confusion aurait été actée.
Rien ne confirme toutefois ces dires et l’office fédéral de topographie estime que pendant longtemps l’appellation Dent Blanche, ou Weisszahnhorn, désignait une région de haute montagne plus qu’un sommet précis. L’erreur n’en serait alors pas une. Jusqu’au XVIIIe siècle, il est vrai que la haute montagne ne suscitait que peu d’intérêt en Europe. Les plus hauts sommets demeuraient anonymes tandis que d’autres étaient désignés de mille manières. Et dans cette région méconnue et peu accessible des Alpes, les premiers cartographes effectuaient souvent leurs relevés à distance. Quelles que soient cependant ses origines nébuleuses, la Dent Blanche brille par sa grâce et par sa majesté. Diamant pur de roche éclairant Évolène que l’hiver sublime d’une neige éblouissante.
Conquête de la Dent Blanche | Joyau de la Couronne impériale de Zinal
Voilà la montagne baptisée Dent Blanche. L’heure est désormais venue pour elle de conquérir le cœur des hommes. Sa silhouette imposante hante les esprits. Certains admirent sa grandeur quand d’autres rêvent de la gravir. Le 18 juillet 1862, les Britanniques William Wigram et Thomas Stuart Kennedy, accompagnés de leurs guides Jean-Baptiste Croz et Johann Kronig, réalisent la première ascension de la Dent Blanche par son arête sud. La Wanfluegrat est devenue depuis la voie normale pour atteindre le sommet. Triomphant de l’une des plus célèbres montagnes de plus de 4000 mètres des Alpes, les alpinistes profitent d’un panorama exceptionnel. Entre ciel et terre, les Alpes défilent sous leurs yeux, offrant à leur regard les plus beaux reliefs. Du Mont-Blanc au massif des Mischabels, du Grand Combin aux cimes du mont Rose, ils découvrent le vertige d’une splendeur absolue. Et aux côtés de la Dent Blanche, le Weisshorn, le Zinalrothorn, l’Obergabelhorn et le Bishorn donnent vie à la célèbre Couronne impériale de Zinal.
Les victoires s’enchaînent ensuite sur les hauteurs d’Évolène. Le 14 septembre 1871, Margaret Claudia Brevoort, dite Meta Brevoort, est la première femme à vaincre la Dent Blanche. Avec Christian et Ulrich Almer et W.A.B. Coolidge, elle l’aborde aussi par son arête sud. Parmi les exploits les plus remarquables figure également la première ascension de la face nord de la Dent Blanche. Le 12 juillet 1966, Yvette et Michel Vaucher ouvrent une nouvelle voie au sommet de la montagne. Première mythique et aventure folle qui marque l’histoire des Alpes et du Valais suisse. En février 1968, le guide et alpiniste Camille Bournissen réalise la première ascension hivernale en solitaire de la face nord de la Dent Blanche. Véritable prouesse qui manque pourtant de lui coûter la vie quand des chutes de pierre et de glace le touchent de plein fouet. Le 7 octobre 1980, enfin, André Georges et Bernard Maître viennent à bout des quatre arêtes de la montagne en 16 heures à peine.
La Dent Blanche suscite par ailleurs l’intérêt des skieurs de l’extrême. En 1985, le guide André Anzévui effectue la première descente à skis de la montagne par sa face sud-ouest. En juin 2013, Gilles Sierro, Olivier Roduit et Yannick Pralong inaugurent un nouveau couloir sur sa face sud-ouest. Et le 27 février 2019, c’est au tour de sa paroi est de succomber au talent de Paul Bonhomme qui ouvre un nouvel itinéraire sur ses flancs abrupts.
Ascension de la Dent Blanche | À plus de 4000 mètres d’altitude dans les Alpes valaisannes
L’ascension de la Dent Blanche figure aujourd’hui parmi les échappées les plus convoitées des Alpes. Quel que soit l’itinéraire pour lequel on opte, le voyage est long et l’épreuve difficile. Plusieurs refuges facilitent heureusement son approche. Le bivouac du col de la Dent Blanche le long de son arête nord, la cabane du Mountet donnant accès à l’arête des Quatre Ânes, la Schönbielhütte au sud de la montagne.
Mais, le repaire le plus spectaculaire, blotti à fleur de rocher, demeure la cabane de la Dent Blanche ou cabane Rossier. Cet abri édifié au pied de la Wandfluegrat, à 3507 mètres d’altitude, est le plus haut refuge du Club alpin suisse. Seuls les alpinistes les plus aguerris peuvent l’atteindre car le parcours est rude et le dénivelé important. Mais, la cabane de la Dent Blanche honore sa promesse d’une expérience merveilleuse. Point de départ de traversées inoubliables, le refuge offre à ses visiteurs valeureux une vue imprenable du glacier de Ferpècle à la Dent d’Hérens.
« Monstrueuse coquette » ou pyramide prodigieuse, la Dent Blanche attise notre imaginaire comme elle enflamme nos cœurs. Majesté céleste du val d’Hérens, elle exhibe sa stature vertigineuse et fascinante à la cime des Alpes suisses comme aux yeux du monde entier. Dent de roche à l’âme blanche, la montagne fait écho à ses comparses de légende, qui clament au rythme de leurs crêtes la puissance remarquable de la Couronne impériale de Zinal.