Montagne rejoignant l’immensité des cieux, l’Obergabelhorn s’élève à plus de 4000 mètres d’altitude dans les Alpes valaisannes. Au cœur d’une nature sauvage et reculée, cette fourche gigantesque clame sa grandeur au rythme flamboyant des crêtes de Zinal. Mais, au-delà de sa prestance et de sa verticalité, la connaît-on vraiment ? Portrait d’un sommet de légende, l’Obergabelhorn, diamant de la Couronne impériale de Zinal.
Portrait de l’Obergabelhorn | Diamant brut au sommet de la Couronne impériale de Zinal
Notre odyssée commence au cœur du Valais. Explorant les terres reculées du val d’Anniviers, nos pas nous mènent dans les Alpes au-delà de Zinal. Remontant les rivières de glaces éternelles, nous le voyons soudain. Pyramide de neige aux allures royales, l’Obergabelhorn se dresse à 4063 mètres d’altitude. Éclatante et magistrale, son histoire est liée à celle du Bishorn, du Weisshorn, du Zinalrothorn et de la Dent Blanche. À eux cinq ils forment la Couronne impériale de Zinal, forteresse imprenable des Alpes valaisannes.
Colosse légendaire, l’Obergabelhorn doit sa renommée à la magnificence de sa face nord. Vertigineuse et entièrement glacée, le plissé de sa robe semble nous inviter à découvrir un monde aux mille et une beautés. Paroi lisse d’une inclinaison moyenne de 55 °, elle offre aux alpinistes les plus aventureux un dénivelé de 450 mètres. Gravir cette muraille relève du défi.
Porté par sa puissance par-delà le monde, l’Obergabelhorn déploie ses arêtes grandioses. Comme les racines d’une créature fantastique se nourrit de la terre pour conquérir le ciel. Au sud-est la Gabelhorngrat la relie à ses frères, le Mittler Gabelhorn et l’Unter Gabelhorn. À l’ouest l’Arbengrat conduit au Mont Durand, tandis que l’arête du Cœur, au nord, plonge à la confluence des glaciers de Zinal et de l’Obergabelhorn. Mais la montagne doit sa force à son arête nord-est, qui l’unit à son Grand gendarme et au Wellenkuppe. Ultimes bastions de notre citadelle, ces pointes secondaires protègent la montagne de toute incursion.
Ascension de l’Obergabelhorn | Au sommet des Alpes valaisannes
La nature se préserve mais l’homme est audacieux. Franchissant les obstacles qu’elle met sur sa route, il n’a qu’un seul désir : atteindre son sommet. Il apprivoise alors cette cime imposante en lui donnant le nom d’Obergabelhorn, que l’on pourrait traduire par « sommet fourchu supérieur ». Plus haut que ses frères, également cornus, le mont paraît en effet brandir ses pointes à travers la brume pour tutoyer le ciel et dominer le monde.
Puis, vient le temps des conquêtes et des folles aventures. L’homme se lance à l’assaut des Alpes et de ses plus impressionnants sommets. L’âge d’or de l’alpinisme sonne et les hautes montagnes doivent une à une se résoudre à accueillir au sein de leur royaume les hommes intrépides. Et la compétition est rude sur les flancs du géant. Peter Taugwalder et Francis Douglas multiplient les tentatives pour vaincre la fourche de Zinal. Par le sud-est puis par le nord-est, ils tentent leur chance. Mais la montagne résiste et ne leur cède rien. Ils rêvent de victoires mais le destin parfois se joue de notre volonté.
Le 6 juillet 1865, ce sont Adolphus Warburton Moore, Horace Walker et Jakob Anderegg qui réalisent la première ascension de l’Obergabelhorn par son versant est et son arête nord-est. Au coude à coude, ils triomphent et entrent dans l’histoire. Et quand, le lendemain, Peter Taugwalder, Francis Douglas et Joseph Vianin tentent une troisième fois de gravir le sommet, ils ignorent qu’ils ne sont déjà plus les pionniers de cette traversée. Courageux et pleins d’espoir, ils attaquent leur montée par l’arête du Cœur jusqu’à ce qu’ils aperçoivent des empreintes de pas sur la face est de la montagne. Désespérés par leur infortune, ils poursuivent tout de même leur périple céleste. Et leur joie est immense lorsqu’ils constatent enfin qu’aucune trace visible ne souille le sommet. Mais, les apparences sont trompeuses et la nature tenace. Deux cordées, c’en est trop, la montagne s’insurge. Et, alors que l’équipe admire la splendeur du paysage qui défile sous leurs yeux, une avalanche déferle, emportant avec elle Francis Douglas et Peter Taugwalder. Ils doivent leur salut à Joseph Vianin, resté à distance sous la cime rocheuse. La corde qui les lie ne se rompt pas et les deux alpinistes s’y raccrochent avec force. Le sort s’acharne toutefois sur Francis Douglas, qui meurt une semaine plus tard lors de la première ascension du célèbre Cervin.
L’Obergabelhorn sous les projecteurs | Montagne mythique au cœur des Alpes suisses
De nouvelles voies ne cessent ensuite de s’ouvrir au sommet de l’Obergabelhorn. L’Arbengrat est franchie en août 1874 par Henry Seymour Hoare, Eustace Hulton, Johann von Bergen, Peter Rubi et Joseph Moser. Puis, vient le tour de la Gabelhorngrat, gravie le 3 septembre 1877 par Johann Jaun, Peter Rubi, Edward Davidson et James Walker Hartley. Le 1er août 1890, Christian Klucker et Ludwig Norman-Neruda inaugurent la voie normale pour atteindre le sommet de l’Obergabelhorn. Parcourant son arête nord-est, ils traversent le Wellenkuppe et viennent à bout de son Grand gendarme, principal obstacle de cette course fabuleuse. Mais à défier nuit et jour ses arêtes tentaculaires, l’on en oublierait presque le plastron lustré de notre créature. Mur de glace invincible, diamant brut de la Couronne impériale de Zinal, la face nord de l’Obergabelhorn jubile à la cime des Alpes. Jusqu’à ce jour mémorable où Hans Kiener et Rudolf Schwarzgruber réalisent l’impensable. Le 30 juillet 1930, ils ont raison de cette paroi si titanesque que superbe.
Mais l’homme conquiert autant qu’il est artiste, et prétend constamment à de nouvelles prouesses. Les routes de l’Obergabelhorn sont désormais ouvertes ? Qu’importe ! Il délaisse ses crampons pour mieux chausser ses skis et prend le pari fou de réussir un jour à descendre sa face nord, verticale et glacée, en ski de pente raide. Premiers skieurs de l’extrême à relever le défi, Martin Burtscher et Kurt Jeschke réalisent en 1977 un exploit historique. Puis, l’Obergabelhorn brille aux yeux du monde grâce au tour de force de Jérémie Heitz. En 2016, le film documentaire La Liste met à l’honneur les voies incroyables qu’il parvient à descendre le long des parois les plus abruptes des Alpes. En 2020, sa face nord étincelante inspire au skieur de pente raide Vivian Bruchez le titre de son film documentaire Le diamant des Alpes. Propulsée alors sous les feux des projecteurs, la montagne devient à jamais héroïne prodigieuse.
Pyramide de roche à l’armure de glace, l’Obergabelhorn rayonne dans les Alpes comme il marque les mémoires. Pièce maîtresse d’un héritage inestimable, l’homme, après l’avoir vaincue, se doit désormais d’en préserver l’histoire. Beauté fougueuse et immuable brandissant ses pointes au sommet du Valais. Diamant éternel de la Couronne impériale de Zinal.