Pyramide remarquable aux parois éblouissantes, le Weisshorn exhibe ses arêtes somptueuses aux yeux des hommes du Valais. Cette montagne, parmi les plus belles des Alpes suisses, est pourtant l’une des plus impitoyables. Mais, au-delà des apparences saisissantes et prodigieuses, que recèle son histoire ? Portrait d’une montagne impétueuse, le Weisshorn, géant de la Couronne impériale de Zinal.
Portrait du Weisshorn | À plus de 4000 m dans les Alpes valaisannes
Des plus lointaines plaines comme des plus hautes cimes, on l’aperçoit, sauvage parmi les sublimes. Le Weisshorn se dresse au-dessus de Randa comme un phare opalin nous guide dans la nuit, comme un flambeau céleste éclaire notre horizon. Reconnaissable entre toutes, cette pyramide de gneiss s’impose, saisissante, dans le canton du Valais, aux confins du val d’Anniviers et de la vallée de Zermatt. Bastion irréductible d’une terre indomptable. La montagne culmine à 4505 mètres d’altitude, s’élevant ainsi au cinquième rang des plus hauts sommets des Alpes suisses. Et par-delà la glace et les roches abruptes, il joint sa toute-puissance à celle du Bishorn, du Zinalrothorn, de l’Obergabelhorn et de la Dent Blanche. Au rythme de leurs crêtes, ces titans façonnent la Couronne impériale de Zinal. Citadelle imprenable à l’orée des étoiles.
Le Weisshorn campe sur ses trois arêtes vigoureuses. À l’est, sa voie normale nous entraîne dans une course vertigineuse jusqu’à son sommet, tandis qu’au sud la Schaligrat défile depuis le Schalijoch. Quant à son arête nord, du Bishorn, elle traverse le Weisshornjoch et nous guide vers le Grand Gendarme. Défenseur de roche, il protège le Weisshorn de sa pointe acérée, soutenu à l’ouest par l’arête Young, qui s’élance de la cabane Arpitettaz pour lui prêter main-forte. Résolue et fière de brandir à sa cime une croix de métal, la montagne domine d’impressionnants glaciers. Le Bisgletscher au nord-est, le Schaligletscher au sud-est, les glaciers du Weisshorn et de Moming à l’ouest. Cette corne blanche doit enfin son nom à la beauté vibrante de sa face nord-est dont les neiges éternelles inondent de lumière la vallée de Zermatt.
Premières ascensions du Weisshorn | Géant de la Couronne impériale de Zinal
Le Weisshorn règne sur le cœur des hommes, qui n’ont de cesse de vouloir atteindre son sommet. Mais comment réussir à vaincre pareille créature ? À l’âge d’or de l’alpinisme, les tentatives foisonnent. Jusqu’à ce jour mémorable où les cris de bonheur d’une cordée vaillante résonnent enfin au cœur du Valais. Le 18 août 1861, le physicien irlandais John Tyndall part à 13 h de Randa, accompagné des guides de montagne Johann Joseph Benet et Ulrich Wenger. À près de 3000 mètres d’altitude, ils bivouaquent au pied du Weisshorn avant de poursuivre leur exploration quelques heures plus tard. Le long de son arête est, ils franchissent un à un les obstacles que la montagne place sur leur route. Les crêtes étroites et les failles profondes. Tenace et audacieuse, la cordée se hisse à travers les rochers. De toutes leurs forces, ils luttent ensemble pendant plus de quatre heures. Quand soudain ils sentent la montagne fléchir sous leurs pas meurtris. Les jambes tremblantes et le cœur bouillonnant, ils savent qu’ils viennent de marquer l’histoire en réalisant la première ascension du Weisshorn, le 19 août 1861.
L’exploit des alpinistes ouvre la voie à d’autres coups d’éclat. Le 11 août 1871, John Hawthorn Kitson et les guides Christian et Ulrich Almer sont les premiers à vaincre la face nord-est du Weisshorn. Ils gravissent cette paroi glaciaire sous le Grand Gendarme avant de poursuivre leur odyssée le long de l’arête nord du colosse. Quelques jours plus tard, le 10 septembre 1871, Margaret Claudia Brevoort, dite Meta Brevoort, emprunte la même voie pour rejoindre le sommet. Aux côtés de W.A.B. Coolidge et de Christian et Ulrich Almer, elle est la première femme à triompher du Weisshorn. Mais il faut attendre le 31 août 1909 pour qu’une cordée parvienne à surmonter entièrement cette face. Geoffrey Winthrop Young et Joseph Knubel l’escaladent ainsi par son éperon central.
Le 2 septembre 1895, Edward Broome, guidé par Ambros Imboden et Jozef Marie Biner, effectue, quant à lui, la première traversée intégrale de la Schaligrat, arête sud coriace que l’homme n’avait jusqu’alors que partiellement foulée. Et c’est le 21 septembre 1898 que l’impensable prend forme. Partant du Bishorn, Hans Bielhy et son guide Heinrich Burgener réalisent la traversée complète de l’arête nord du Weisshorn. À force de courage et d’obstination, ils ont raison d’un obstacle redoutable. Le Grand Gendarme, pointe superbe et monumentale, abdique sous leurs pas et leur ouvre les portes d’un royaume grandiose à la cime des Alpes.
Ascension du Weisshorn | Exploits au sommet des Alpes suisses
L’homme apprivoise peu à peu le géant de Randa, mais son imaginaire n’a pas de limites. Rêvant d’aventures toujours plus belles, il redouble d’ardeur et de soif d’idéal. Le 1e mars 1968, les guides Régis et Florentin Theytaz réalisent la première ascension hivernale du Weisshorn par sa face ouest. Leur voyage commence à l’aube du 29 février. Pendant de longues heures, ils affrontent la montagne avant de bivouaquer à 4300 mètres d’altitude. Le corps balayé par le froid glacial, mais portés par la force de leur volonté. Le lendemain matin, ils poursuivent leur quête et goûtent leur victoire au sommet du Weisshorn. À leur retour à Zinal, la foule les acclame. Les villageois les accueillent au son des fifres et des tambours. Les Alpes célèbrent leurs nouveaux héros.
Parmi les ascensions les plus remarquables, arrêtons-nous enfin sur la prouesse accomplie le 19 août 1981 par Armand et Aurèle Salamin. En 7 h 30 seulement, ils viennent à bout de la croix du Weisshorn. Un circuit le plus souvent pratiqué en trois jours. Grimpant au sommet par la Schaligrat, ils traversent ensuite son arête nord. Puis ils rejoignent à l’ouest son arête Young avant de redescendre à l’est par la voie normale. De toutes parts, le Weisshorn est désormais conquis.
Mais, l’âme revêche et les flancs escarpés, son exigence demeure intacte. L’homme peut bien fouler sa croupe légendaire, mais au prix de l’effort et d’une extrême vigilance. Car les chutes de pierre et de glace sont fréquentes le long des parois du Weisshorn. Et malgré les nombreux refuges édifiés au pied de la montagne, du bivouac du Schalijoch aux cabanes du Weisshorn, de Tracuit ou d’Arpitettaz, les voies qui mènent à sa cime sont rudes et les itinéraires longs. Gravir le Weisshorn relève du défi mais, quand au fil de ce voyage, nos rêves prennent vie. Quand au sommet des Alpes, nous contemplons, émus, la splendeur du monde. Quand notre cœur bat enfin au rythme des crêtes qui dessinent l’horizon, du massif des Mischabel aux colosses de Zermatt. Alors, nous savons pourquoi nous avons résisté face à l’adversité. Tout devient limpide devant tant de beauté. Cette épopée céleste à la rencontre du Weisshorn nous transforme à jamais, comme chaque périple sur les plus hauts sommets des Alpes est exceptionnel et inoubliable.
Le Weisshorn règne pour toujours dans le cœur des hommes. Porté par l’élégance de ses trois arêtes et l’infinie puissance de son Grand Gendarme, il exhorte le monde à le contempler. Lui dont la pointe féroce affronte le ciel, lui dont la face blanchie illumine le Valais. Cette corne implacable, par-delà sa prestance et l’équilibre de ses formes, nous invite également à prendre soin de lui. Colosse millénaire et pourtant vulnérable dont l’armure de glace, en proie au réchauffement des temps, ne cesse de se fendre. Géant intrépide de la Couronne impériale de Zinal.