Des hauteurs de Zinal s’élève une montagne, déesse sylphide à l’envergure exceptionnelle dont la silhouette réunit les ondes dissonantes. Le Zinalrothorn semble devant nous défier les lois de la nature. Comment une pointe à ce point effilée peut-elle devenir si imposante ? Comment sa roche si déchiquetée peut-elle résister à autant de combats ? Le Zinalrothorn, flambeau millénaire de la Couronne impériale de Zinal, défie le temps et les hommes pour rejoindre le ciel à la cime des Alpes valaisannes.
Portrait du Zinalrothorn : Flambeau de la Couronne impériale de Zinal
Comme un phare s’illumine au milieu de la nuit, le Zinalrothorn brandit sa pointe flamboyante vers le ciel des Alpes valaisannes. Point de repère inébranlable et vigoureux, la montagne s’élève au-dessus de Zinal, de Täsch et de Zermatt. Figure tutélaire d’un océan de roche, le Zinalrothorn mesure la beauté d’une nature insaisissable à la frontière du val d’Anniviers et de la vallée de Zermatt. À 4221 mètres d’altitude, l’écho de sa voix se joint à celle du Bishorn, du Weisshorn, de l’Obergabelhorn et de la Dent Blanche pour chanter les louanges des cimes les plus remarquables. La Couronne impériale de Zinal comme un hymne à la grandeur des Alpes.
Les arêtes du Zinalrothorn, qui se redressent lorsqu’elles tutoient le ciel, confèrent à la montagne sa silhouette élégante et audacieuse. Corne modelée par les vents dans le gneiss millénaire d’Arolla, elle offre à qui tente de rejoindre sa cime une roche dure et rugueuse qui invite à l’aventure. En traversant ses crêtes l’on gravit le Sphinx, la Bosse ou le Rasoir, autant de gendarmes protecteurs de cette pointe légendaire. Ces bastions acérés nous rappellent à tout instant que la montagne trône, comme les épines d’une rose protègent leur reine des poètes imprudents.
De Zermatt, la voie normale pour atteindre le sommet du Zinalrothorn passe par son arête sud-est, assez large en partie inférieure. Au sud-ouest, la Rothorngrat s’élance quant à elle portée par ses gendarmes inflexibles. Mais, pour fouler son arête la plus belle, vos pas vous mèneront au nord du Zinalrothorn. Insouciante et téméraire, son arête nord-ouest mêle course de neige et voie d’escalade. Décidant d’explorer de nouveaux horizons, elle bifurque brusquement vers l’ouest à 4016 mètres d’altitude. Elle forme ainsi l’Épaule du Rothorn qui nous guide depuis le Blanc de Moming sur l’arête du Blanc. Au pied du Zinalrothorn s’étendent enfin des rivières de glace fascinantes et pourtant si fragiles : au nord le glacier de Moming, à l’est le Hohlichtgletscher, au sud le Triftgletscher et à l’ouest le glacier du Mountet. Le Zinalrothorn, créature rocheuse aux allures d’étendard, domine ce paysage venu d’un autre monde avec la prestance des plus prodigieux sommets des Alpes suisses.
Première ascension du Zinalrothorn par son arête nord-ouest : Dans les Alpes valaisannes
Mais, comme ses voisins, le Zinalrothorn ne peut échapper à l’ambition des hommes. En 1863, l’alpiniste Stephen Winkworth, accompagné de son épouse et de deux guides, décide d’affronter la corne rouge de Zinal. Ils l’abordent par le glacier de Trift mais leur tentative courageuse se conclut par un échec. La montagne, affichant sa puissance, résiste vaillamment aux assauts des plus intrépides. Jusqu’à ce que son destin bascule tout juste un an plus tard. Le 20 août 1864, le Zinalrothorn cède face à la ténacité de Leslie Stephen et de Florence Crauford Grove. Avec leurs guides, Melchior et Jakob Anderegg, ils partent de Zinal vers 1h du matin pour une longue course à travers la glace. Du glacier de Zinal, ils rejoignent celui du Mountet avant d’atteindre enfin l’arête du Blanc. Un vent du sud, glacial et implacable, pénètre leurs vêtements et leur transperce la peau. Ils ne sentent plus leurs mains et leurs dents claquent comme les percussions tragiques d’une oraison funèbre. Le combat est rude et la fatigue les gagne. Le chemin est encore long, pourtant, jusqu’au sommet tant convoité.
Pour y parvenir, il leur faut franchir l’Épaule du Rothorn et l’arête nord-ouest du géant de Zinal. Melchior Anderegg prend la tête de l’expédition. Les roches verglacées et les éperons tranchants sont autant d’obstacles qu’il leur faut surmonter. Balayés par les vents enragés, ils grimpent inexorablement. Comme si l’arête n’avait pas de fin, comme si le sommet prenait plaisir à reculer à chacun de leurs pas. Mais l’équipe s’accroche. Au-delà de leur souffrance et de leur désespoir, ils poursuivent leur quête. Jusqu’à ce que sonne l’heure de la victoire, retentissante et historique. Vers 11 h, ils atteignent enfin le sommet de la montagne, épuisés mais heureux, réalisant ainsi la première ascension du Zinalrothorn par son arête nord. Leur triomphe est total, le Rothorn est vaincu. Les alpinistes, dominant la Couronne impériale, contemplent la splendeur du panorama qui s’étend sous leurs yeux. La voie est désormais ouverte à d’autres odyssées. Le 22 juillet 1872, Edward Robson Whitwell et Christian et Ulrich Lauener suivent les traces de nos héros en réalisant à leur tour l’ascension du Zinalrothorn par son arête nord-ouest.
Première ascension du Zinalrothorn par sa voie normale : Prouesse au sommet de la Couronne impériale
Cette année marque aussi l’ouverture de la voie normale au départ de Zermatt. Le 5 septembre 1872, George Augustus Passingham et Clinton Thomas Dent quittent la vallée de Zermatt vers 3 h du matin. Ils sont accompagnés d’un porteur et de leurs guides respectifs, Ferdinand Imseng et Franz Andenmatten pour le premier, Alexander Burgener pour le second. La cordée traverse le Rothorngletscher pour atteindre l’arête sud-est de la montagne. Puis elle rejoint le Rothorngrat qui s’élève plus à l’ouest pour se diriger vers le sommet. Pendant que les guides équipent certains passages difficiles en amont de la brèche du Gabel, les deux alpinistes prennent une pause bienvenue. Puis, le groupe s’élance d’une même ferveur jusqu’à la cime du Zinalrothorn.
La rapidité de leur ascension ne réduit en rien la valeur de leur exploit. Le cœur comblé, ils redescendent vers la vallée. Mais, la montagne intransigeante ne laisse jamais aux hommes le moindre répit. Un bloc de pierre chute tout à coup, testant la vigilance de nos alpinistes. Heureusement, par un réflexe salvateur, Franz Andenmatten dévie le projectile, qui rebondit au-dessus de Ferdinand Imseng, qui n’est pas encordé. Franz Andenmatten est légèrement blessé mais l’incident cause à l’équipe plus de peur que de mal. Il nous rappelle à quel point la montagne est exigeante et nécessite à chaque instant toute notre attention.
Le Zinalrothorn : Montagne qui fascine dans le Valais suisse
En 1873 commence l’ère des grandes traversées. Le 2 juillet, Thomas Cox, Frederick Gardiner, Peter Knubel et Josef Marie Lochmatter sillonnent le Zinalrothorn de la voie normale à son arête nord. Puis, l’homme s’attaque aux parois du géant de Zinal. Le 13 août 1878, William Martin Conway, William Penhall et George Scriven, conduits par leurs guides Ferdinand Imseng et Peter et Matthias Truffer, partent de la cabane du Mountet pour réaliser la première ascension de la face ouest du Zinalrothorn. Une véritable prouesse à l’aplomb du sommet, alors que cette paroi est habituellement sujette aux chutes de pierre.
Les performances se succèdent ensuite et la montagne se résout au fil des records à accepter l’homme sur ses flancs. En août 1901, C.R. Gross et Rudolf Taugwalder rejoignent le sommet du Zinalrothorn par son arête sud-ouest, le magnifique Rothorngrat. Le 5 septembre 1933, Kaspar Mooser, Émile-Robert Blanchet et Richard Pollinger réussissent le tour de force encore inaccompli de gravir la montagne par l’unique Kanzelgrat, son arête sud-est.
Le 3 août 1939, c’est au tour de la face nord du Zinalrothorn d’être à jamais vaincue. Cette muraille de neige et de glace s’élève de 800 mètres au-dessus du glacier de Moming. Obstacle infranchissable aux allures vertigineuses. Les alpinistes Pierre Bonnant et Loulou Boulaz ouvrent pourtant la voie qui portera leur nom. Du glacier ils atteignent l’Épaule du Rothorn avant de poursuivre leur ascension jusqu’au point le plus haut du sommet valaisan.
Au sommet du Zinalrothorn : De défis en records à la cime des Alpes
Après avoir exploré les faces du Zinalrothorn, l’homme multiplie les voies qui le mènent à son sommet. Le 6 août 1945, André Roch, Robert Greloz et Ruedi Schmidt réussissent à ouvrir une directissime sur la face est de la montagne. La zone y est pourtant instable et les chutes de pierre y sont monnaie courante.
Le 28 décembre 1971, Paul Etter, Ueli Gantenbein, Andreas Scherrer et Ernst Scherrer réalisent la première ascension hivernale de la face est du Zinalrothorn. Puis vient l’heure de René Arnold et Michel Sherbaum, qui effectuent la première hivernale de son arête sud-ouest le 10 janvier 1976.
De défis relevés naissent de nouvelles gageures. Fasciné par les Alpes, l’homme n’a de cesse de se surpasser. Il ressent le besoin impérieux d’éprouver ses limites et rêve d’exploits toujours plus remarquables. Par amour de l’aventure, bien sûr, mais aussi pour mettre en valeur la haute montagne, souligner sa beauté et porter au rang d’art son infinie puissance. Au contact de sa roche et de sa neige somptueuse, il ouvre de nouvelles voies toujours plus difficiles. Mais il lui arrive aussi de s’unir aux vents pour révéler l’âme de cette nature exceptionnelle. C’est ainsi qu’en 2013, Julian Zanker et Yannick Gundi effectuent le premier vol en wingsuit ou en combinaison ailée des hauteurs du Zinalrothorn jusqu’aux vallées.
De la cabane du Grand Mountet, de la Rothornhütte ou du refuge de l’Arpitettaz, nombreux sont aujourd’hui les férus d’alpinisme qui s’élancent à la rencontre du Zinalrothorn. Flambeau de roche porté par l’éclat de ses neiges éternelles, la montagne est rigoureuse et la gravir se mérite. Mais, lorsque l’on réussit enfin à fouler son sommet, elle nous offre une vue inoubliable sur les sommets les plus grandioses des Alpes valaisannes. Devant nous, la Couronne impériale scintille tandis que le Cervin et le massif du mont Rose sculptent l’horizon de leurs crêtes merveilleuses.