Juin 2023. Me voilà prêt à partir à la rencontre du mont Rose. Depuis la vallée de Zermatt, les hauts sommets de ce massif attirent mon regard. Il est désormais temps pour moi de les gravir. En ce début d’été, j’ai décidé de réaliser une partie du Spaghetti Tour, célèbre traversée des géants du mont Rose par leur versant italien. Au programme : l’ascension de la Punta Giordani, de la Pyramide Vincent, du Corno Nero et du Ludwigshöhe.
Grâce aux conseils avisés de mon guide, Johann Filliez, mon expédition me mènera ensuite à la cime du Parrotspitze, du Zumsteinspitze et de la Signalkuppe ou Pointe Gnifetti. 7 sommets de plus de 4000 mètres en seulement deux jours : un objectif à la hauteur de mon admiration pour la montagne ! Ils figurent tous parmi les sommets alpins de plus de 4000 mètres d’altitude les plus faciles à atteindre. Les grands projets que je planifie pour cet été exigent que je me réacclimate à la haute altitude, après plusieurs mois passés dans la vallée. Découvrir ces cimes constitue une belle occasion de réaccoutumer mon corps aux sensations de l’alpinisme.
Le Spaghetti Tour | De la Punta Giordani à la Pyramide Vincent
Jour 1. Johann et moi nous rendons dans la vallée de Gressoney pour atteindre Stafal. Équipés de notre matériel, nous empruntons les remontées mécaniques pour nous élever jusqu’à Endrespetz, à 3275 mètres d’altitude. Le temps est mauvais. Enveloppés de brume, nous sentons la neige approcher. Avant même le début de notre ascension, la montagne nous rappelle que nous ne sommes que des hôtes de passage. Qu’elle seule décide qui peut fouler sa roche et qui aura la chance d’entrevoir sa beauté.
De la Punta Indren, nous nous dirigeons vers le refuge Gnifetti, édifié à 3625 mètres d’altitude, sur le versant sud du mont Rose. Dominée par la Pyramide Vincent et le Liskamm, la cabane nous offre un avant-goût du spectacle qui nous attend. De la splendeur saisissante d’un royaume de glace dont on ne peut soupçonner l’existence lorsque l’on vit dans la vallée. Pour moi qui suis sensible au mal d’altitude, cette première étape est idéale pour me préparer à l’ascension du lendemain. Car passer de 0 à 3600 mètres à la vitesse des remontées mécaniques est une véritable épreuve pour le corps.Il fait encore nuit lorsque nous nous levons. Nous quittons le refuge à 5 h 30 pour rejoindre la Pointe Giordani. L’aventure commence ! Arpentant le glacier d’Indren, je suis ému devant tant d’éclat. Le ciel est pur et la neige immaculée. La montagne nous accueille, royale et envoûtante. Le regel se sent à peine et, sous notre poids, la neige cède. Nous nous enfonçons profondément et chaque pas demande un peu plus d’effort. Heureusement, Johann, mon guide, est là pour m’aider. Il fait la trace et nous ouvre la voie vers le sommet. Il m’accompagne aussi lors de la traversée du glacier, car ses crevasses, parfois masquées, représentent un danger permanent pour l’alpiniste.
Avançant sans relâche, l’importance de la cordée ne quitte jamais mon esprit. Ensemble, quoi qu’il arrive. Ensemble jusqu’au sommet. Quel meilleur moyen que l’alpinisme pour reprendre conscience de notre place dans le monde ? Rester humble face à la montagne est essentiel pour survivre. Je suis tout à mes pensées et concentré sur mes pas lorsque, tout à coup, je le vois. Le spectre de Brocken. Pris dans le brouillard, notre ombre se reflète face à nous, cerclée de lumière. Une illusion d’optique dont la montagne a le secret.
La surprise passée, nous gravissons les derniers mètres qui nous séparent du sommet de la Punta Giordani, à 4046 mètres d’altitude. Arrivé en haut comme à la cime du monde, je respire. La scène est magnifique. Surplombant les nuages, je contemple le paysage. Un panorama à couper le souffle sur le massif du mont Rose. Les mots m’échappent tant le spectacle est merveilleux. Pur et grandiose. Quelle expérience incroyable pour le photographe de montagne que je suis d’arpenter ainsi les reliefs alpins qui inspirent mon art ! Comme une plongée vertigineuse au cœur de mes œuvres. La montagne et mon imaginaire ne font plus qu’un. Et leur rencontre me bouleverse.
Le mont Rose par l’Italie | L’ascension de la Pyramide Vincent
De la Punta Giordani, on distingue l’arête qui mène au sommet de la Pyramide Vincent. De roche et de neige, son tracé est accueillant. Idéale pour me réapproprier les sensations de grimpe en ce début de saison, elle est pour moi la voie la plus belle pour atteindre la Pyramide Vincent, à 4215 mètres d’altitude. L’arête semble flotter entre terre et ciel, fabuleux vaisseau de roche nous guidant vers les hauteurs. Concentrés sur l’essentiel, nous arpentons les chemins d’un royaume où la neige est éternelle. L’attention fixée sur chacun de mes gestes, je ne peux m’empêcher d’admirer la beauté de la montagne, ses contrastes lumineux, sa pureté absolue. Je n’imaginais pas d’en bas à quel point cette arête était esthétique. D’un graphisme remarquable.
Au fur et à mesure que l’on s’élève, la Punta Giordani devient plus petite. Équilibristes, nous évoluons sans le savoir entre le Piémont et le Val d’Aoste. Sur notre droite, le vertige est total en direction de la vallée du Piémont. À cet instant, il nous faut fixer l’objectif du regard, ne pas penser à la chute, car la moindre faiblesse peut nous être fatale. Je n’ai pas le vertige et, pourtant, confronté à certains passages impressionnants, mon corps flanche. M’empêchant de me tenir debout. Me forçant à me rétrécir pour ne pas vaciller. Réflexe primitif, instinct de survie, comme programmé en nous depuis toujours.
Après des heures de marche, nous voyons enfin approcher le sommet de la Pyramide Vincent. Le pas lourd mais l’âme heureuse. À travers la neige et les rochers, nous y accédons peu après 10 h. Quelle aventure incroyable ! Quelle course magnifique ! Je suis si heureux de commencer la saison ainsi. Du haut de la Pyramide, nous contemplons le Liskamm, dont la cime acérée semble percer le ciel. Reprenant mon souffle, j’admire les sommets qui rythment ce versant italien du mont Rose. Et déjà la suite nous attend. Le Corno Nero, qui se dresse à 4321 mètres d’altitude, et le Ludwigshöhe, dont la cime s’élève à 4343 mètres de hauteur à la frontière entre la Suisse et l’Italie.
À la découverte des Alpes italiennes | Le Corno Nero et le Ludwigshöhe
De la Pyramide Vincent, il ne reste que 150 mètres de dénivelé à franchir pour atteindre le Corno Nero. Mais, à plus de 4000 mètres d’altitude, l’effort à fournir n’est pas le même que dans la vallée. Alors qu’en plaine nous aurions pris plaisir à courir jusqu’au prochain sommet, ici chaque mouvement compte. Johann et moi mesurons la rapidité de nos pas pour mieux gérer l’énergie qu’il nous reste. Nous contrôlons notre respiration car, avec le manque d’oxygène, l’essoufflement menace. Pour cette première traversée en haute montagne de la saison, mon corps doit retrouver ses repères. Les battements de mon cœur s’accélèrent comme grimpe la pente qui nous mène au sommet. Entre deux enjambées, je regarde le Corno Nero jaillir de la brume. À l’approche de la cime, la paroi se raidit, nous obligeant à crapahuter entre les rochers. Heureusement, la neige nous facilite la tâche, car, si elle avait été de glace, la voie aurait nécessité davantage de technique. Un dernier effort et nous parvenons au sommet de ce rocher qui semble perdu dans l’immensité céleste. Sur ce promontoire enchanteur, une statue de vierge a été dressée, veillant d’en haut sur le monde des hommes.
À peine remis de nos émotions, il nous faut repartir en direction du Ludwigshöhe. 20 mètres de dénivelé seulement séparent cette petite bosse de neige du Corno Nero. Dans un dernier élan, nous l’atteignons à 12 h 30. La traversée touche à sa fin. Nous pouvons enfin nous asseoir et reprendre des forces. Épuisé mais serein, je profite de la beauté du Corno Nero qui nous fait face. 8 heures en haute montagne à parcourir les sommets, à grimper et marcher, à arpenter les rochers et évoluer dans la neige. Et, malgré la fatigue, la nature n’attend pas. Le soleil réchauffe l’atmosphère et nous devons redescendre. Si la neige devient trop molle, nous risquons au retour d’affronter des crevasses. Car, en haute montagne, nous ne sommes qu’invités de quelques instants. Sur chaque sommet, nous ne restons que quelques minutes pour nous restaurer avant de nous remettre en route.
Nous redescendons au refuge, riches de cette expérience incroyable. Nous en profitons pour faire une halte au bivouac Felice Giordano, à 4167 mètres d’altitude. La magnifique statue du Cristo delle Vette y trône. Le Christ des Sommets protège la vallée de Gressoney. Je suis comblé d’avoir pu découvrir tant de monts de 4000 mètres d’altitude en une même journée. Même s’il s’agissait d’une randonnée glaciaire plus que d’une ascension technique. Ici, la complexité vient de l’altitude. Notre réussite réside dans la force de l’esprit. Dans notre capacité à rester concentré, à tenir bon malgré la fatigue. Chaque pas prouve notre détermination et nous puisons notre énergie dans la splendeur des montagnes alentour. Lorsqu’un doute m’assaille, je regarde autour de moi et je n’ai plus qu’une envie, aller de l’avant pour atteindre mon objectif. Coûte que coûte rejoindre les plus hautes cimes pour côtoyer le ciel. Et, seul au-dessus du monde, toucher à l’essence même de la vie.
Arrivés au refuge, nous pouvons enfin nous reposer et profiter d’un bon repas. Et on peut dire que les Italiens savent cuisiner ! Leurs assiettes de spaghettis sont aussi garnies qu’un plat de résistance alors qu’elles ne font qu’ouvrir les festivités. Les bruschettas sont divines. En trois jours de voyage, j’ai pris 2 kg ! Malgré l’effort fourni pendant les ascensions et la fatigue accumulée. Puis il est temps d’aller dormir quelques heures avant de repartir pour de nouvelles aventures. À la découverte du Parrotspitze, du Zumsteinspitze et de la Signalkuppe.