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Chroniques d'Ascension

Traversée du Lyskamm Aux confins des Alpes valaisannes

Ecrit par Thomas Crauwels
Vallée de Zermatt Valais Suisse - photo de montagne en noir et blanc- Lyskamm

Juillet 2023. Six ans déjà que je l’ai rencontré. Six ans que sa beauté royale me fascine et que, le cœur vibrant, je le photographie. Après tant d’années, je vais enfin réaliser l’un de mes plus grands rêves. Effectuer la traversée du Lyskamm et de son arête magnifique. Suspendu entre ciel et terre, aux confins des Alpes valaisannes et de la Vallée d’Aoste. Pour mener à bien cette nouvelle ascension, j’ai la chance d’être accompagné de mon guide, Johann Filliez, ainsi que de mon ami Alexis et de son guide Antoine. Nos pas nous conduiront du Lyskamm occidental, qui s’élève à 4479 mètres d’altitude, au Lyskamm oriental, qui culmine à 4532 mètres d’altitude. Ces deux sommets du Spaghetti Tour, proches du mont Rose, figurent sur la liste officielle des montagnes de plus de 4000 mètres des Alpes établie par l’UIAA (Union Internationale des Associations d’Alpinisme). Prêt à relever ce nouveau défi, je pars, enthousiaste et volontaire, vers la vallée de Gressoney.

Traversée du Lyskamm | Point de départ dans les Alpes italiennes

Il y a dix jours, je réalisais l’ascension de quatre sommets du Spaghetti Tour et me voilà de retour dans les Alpes italiennes. Arrivés à Stafal, dans la haute vallée du Lys, nous empruntons les remontées mécaniques, chargés de notre matériel, pour rejoindre le col Bettaforca. Il nous faut atteindre le refuge Quintino Sella avant la nuit. Mon corps étant désormais acclimaté à la haute altitude, nous avançons rapidement. Quittant les vallées verdoyantes et les forêts de sapins, nous pénétrons dans un monde minéral où la roche est austère et le ciel gris. Quelques plaques de neige recouvrant le sentier nous offrent un avant-goût de la blancheur qui nous attend plus haut.

Deux heures à peine après notre départ, nous atteignons le refuge, à 3585 mètres d’altitude. Plongés dans la brume, nous ne pouvons apercevoir avant la nuit l’itinéraire qui nous attend le lendemain. La surprise reste donc entière ! En franchissant la porte de la cabane, nous sommes ébahis d’y voir autant de monde. Nous nous installons pour dîner dans la salle grouillante de vie où, dans une ambiance chaleureuse, chacun y va de son projet. La plupart des alpinistes présents se rendront au sommet du Castor. Mais je suis surpris de voir que nous sommes nombreux à vouloir gravir le Lyskamm. Son ascension est plus complexe que celle du Castor, et la montagne est plus confidentielle. Moins connue que le mont Blanc ou le Cervin, elle attire moins d’alpinistes. Mais, chacun a ses raisons de vouloir parcourir un sommet plutôt qu’un autre. Fouler les neiges éternelles du Lyskamm est un rêve qui me hante depuis longtemps tant sa splendeur m’attire. Et c’est en songeant aux promesses de ce lendemain heureux que je m’endors profondément.

Le refuge Quintino Sella | Vue sur le Spaghetti Tour 

3 h 58. Le réveil sonne. 2 minutes pour m’habiller avant de retrouver Johann, Alexis et Antoine. À travers la fenêtre, nous contemplons la vue en direction du refuge Gnifetti. Sous nos yeux à peine éveillés défilent la Pyramide Vincent, le Corno Nero, le Ludwishöhe et la Parrotspitze. Tous ces sommets du Spaghetti Tour qui me rappellent mes dernières ascensions et m’invitent à de nouvelles aventures. La pleine lune illumine les montagnes comme s’il faisait déjà jour. Et sous le bleu naissant du ciel, les contours de la neige répondent à ceux des nuages.

Le petit-déjeuner est toujours un moment difficile pour moi qui suis habitué à ne prendre mon premier repas qu’à l’heure de midi. Mais, en montagne, manger est une question de survie. Mon corps a besoin de réserves pour surmonter les heures d’ascension. Alors j’avale quelques tartines beurrées, un bol de céréales et me voilà fin prêt. J’emporte dans mon sac des barres énergétiques et autres gourmandises sucrées. Elles seront mon carburant au fil de la journée. Mais, alors que nous nous apprêtons à quitter le refuge, un ciel menaçant chargé d’éclairs nous ramène à la raison. Le mauvais temps, qui devait arriver en cours d’après-midi, aurait-il de l’avance ? Si nous partons vers le Lyskamm ce matin, n’allons-nous pas nous retrouver pris dans la tempête ? Notre ascension semble bien compromise, et mon rêve paraît tout à coup relever de la simple utopie. Devant tant d’incertitudes, Johann vérifie les données météorologiques et nous rassure. Les prévisions indiquent qu’il fera beau. Alors, nous mettons de côté nos craintes et, à 4 h 58, nous commençons notre expédition vers le Lyskamm. Le moment que j’attendais tant est enfin venu.

À l’approche du Lyskamm | Du Felikgletscher au Felijoch

Nous avançons d’un pas rapide sur le Felikgletscher. La voie royale du glacier nous guide jusqu’au Lyskamm occidental. Au fil de nos pas, l’aube rosit le ciel. Lorsque nous arrivons au pied du Felijoch, nous nous arrêtons un instant, subjugués par la beauté du lever de soleil. L’horizon se pare de teintes merveilleuses. Du bleu à l’orangé, les couleurs de la vie et de l’espérance illuminent le paysage autant que notre cœur. Quel magnifique cadeau de la nature ! Soudain, alors que la vallée dort encore, les montagnes grandioses déploient leur cime lumineuse au-delà de la brume. Et je reconnais ce profil si particulier du mont Blanc et des Combins qui ressemble en tous points à la vue que l’on observe depuis le Petit Cervin. La montagne ne cessera décidément jamais de m’étonner !

Nous parcourons maintenant les derniers mètres qui nous séparent du col. La pente devient tout à coup si raide que je peine à me tenir debout. Soulagés d’être arrivés au Felijoch, nous reprenons notre souffle face à la mer de nuages envoûtante et sublime qui recouvre la vallée de Zermatt. Seuls les hauts sommets de la Couronne impériale de Zinal surgissent des flots brumeux. Je ne peux alors m’empêcher de sortir mon appareil pour les photographier. L’Obergabelhorn, le Zinalrothorn, le Weisshorn et le Cervin semblent dominer le monde avec sérénité.

Ascension du Lyskamm occidental | Panorama grandiose sur les Alpes

Face à nous se dessine l’arête du Lyskamm occidental. Blanchie par la neige, elle me rappelle l’arête des Bosses du mont Blanc. Si l’on prête bien l’oreille, elle nous invite à rejoindre le ciel. Mais, à l’observer de plus près, elle laisse deviner une pente extrêmement raide à la fin de sa montée. 400 mètres de dénivelé séparent en effet le col du sommet. Malgré les difficultés qui s’annoncent, nous entamons notre ascension. Les battements de mon cœur s’accélèrent et je veille à chacun de mes pas car, à de telles altitudes, l’erreur n’est pas envisageable. Johann et moi trouvons progressivement notre rythme pour arriver à bout de cette étape. Et lorsque mes pieds foulent enfin le sommet, mon souffle est court mais je me sens comblé. Le Lyskamm m’a accepté à sa cime.

De là-haut, je découvre un panorama fantastique. Le massif du mont Rose resplendit, de la Parrotspitze à la Zumsteinspitze, en passant par le refuge Margherita. Comment concevoir que la nature est si belle vue d’en haut ? Il y a quelques jours à peine, j’admirais le Lyskamm en parcourant les cimes du Spaghetti Tour. Quand aujourd’hui, je me trouve de l’autre côté du miroir. Le vent tourne, l’énergie circule, la fin d’une épopée mène à une autre découverte. Et les montagnes se font l’écho de mes plus belles aventures.

En voyant au refuge le nombre d’alpinistes qui s’apprêtaient à gravir le Lyskamm, j’ai eu envie d’immortaliser leur traversée. J’espérais secrètement qu’à son sommet, le temps serait clément. Alors que nous grimpions dans le vent et le froid, j’étais empli de doutes. Mais arrivé là-haut, la nature a exaucé mon souhait et j’ai la chance de pouvoir photographier une cordée arpentant l’arête menant au Lyskamm oriental au cœur d’un paysage extraordinaire. Quand je revêts ainsi mes habits de photographe, je ne fais plus qu’un avec la montagne. Et je nourris mon art des trésors qu’elle recèle. La volupté de ses reliefs, sa blancheur divine, ses couleurs somptueuses. Baignée de lumière, elle expose au vent son âme impétueuse. Même l’ombre scintille tant la montagne est belle.

Traversée d’une arête fabuleuse | Aux confins des Alpes valaisannes

Après cette pause photographique, il est l’heure de rejoindre Alexis et Antoine qui ont pris de l’avance. Nous entamons la traversée de l’arête qui relie les deux sommets du Lyskamm. Sans doute l’une des plus belles des Alpes. Sa silhouette effilée semble dessiner le dos bosselé d’un géant millénaire. Ses crêtes se succèdent suivant le flux de mon imaginaire. D’une pureté céleste, elle s’élance dans le vide entre l’ombre et la lumière. 

Nous avons 2 km et 100 mètres de dénivelé à parcourir le long de cette voie mythique. Dans ces conditions, la concentration est primordiale. Il faut surtout veiller à ne pas trébucher, car à la moindre erreur, la chute est fatale. Perché à 4450 mètres d’altitude, je me sens comme un équilibriste qui avance sur un fil entre la Suisse et l’Italie. Nous devons aussi faire attention aux corniches de neige façonnées par les vents. Elles sont nombreuses sur cette arête confrontée à la furie des tempêtes. Et si l’on a le malheur de se trouver dessus lorsqu’elles se brisent, impossible d’en réchapper. Alors, il faut parvenir à faire sa trace à l’endroit juste. Là où la montagne accepte la présence de l’homme.

J’avance en tête de cordée. Je mesure mes efforts. Chaque avancée est un nouvel exploit. Derrière moi, Johann anticipe tous mes gestes, prêt à me retenir en cas de faux pas. Mais, fort heureusement, l’expérience accumulée depuis tant d’années rend ma démarche plus assurée et mon mental fort. Face à moi, je ne vois que la montagne. Tête-à-tête féérique à la cime du monde. Autour de nous, l’atmosphère est si pure que l’on distingue les Alpes de ses crêtes jusqu’aux vallées. Le ciel, la neige, la roche et le vent, tous les éléments sont réunis et je me trouve au centre. L’expérience est fabuleuse, comme un retour à l’essentiel.

Du Lyskamm oriental au refuge Gnifetti | Dernière étape d’une ascension inoubliable

Puis, vient le dernier pas qui nous mène au sommet oriental du Lyskamm. Dernière étape d’un voyage inoubliable. Nous sommes heureux d’y retrouver Alexis et Antoine. Je découvre alors la descente qui nous permettra de rejoindre le Lisjoch. Là encore, le spectacle est magnifique. La neige se fond dans le coton des nuages. Harmonie parfaite des couleurs et des matières. Le temps de reprendre notre souffle et nous voilà déjà repartis. Jusqu’au Lisjoch, nous devons rester concentrés, car il arrive que les descentes soient plus complexes qu’elles n’y paraissent. Mais aujourd’hui, les conditions sont idéales et, si je devais gravir à nouveau le Lyskamm, c’est à cet endroit précis que j’aimerais retourner. Car c’est là que l’arête me paraît la plus gracieuse et effilée.

Arrivés sur le Lysgletscher, au pied du Ludwigshöhe et du Corno Nero, nous respirons plus tranquillement. La marche est aisée jusqu’au refuge Gnifetti. Je suis surpris de constater à quel point la neige a fondu en seulement dix jours. La glace apparaît sur la Punta Giordani et des crevasses surplombent le refuge. Choisir le bon moment pour sillonner les sommets est crucial car les conditions évoluent d’un jour à l’autre en altitude. Et lorsqu’elle affûte ses armes, la montagne devient dangereuse. Notre expédition prend fin sur les bancs du refuge Gnifetti, où nous nous régalons d’un délicieux plat de pâtes. Des Conchiglie à la tomate, accompagnés de mozzarella fondante. La meilleure des récompenses pour célébrer la réalisation de l’un de mes plus grands rêves d’alpiniste. Et il n’y a pas à dire, la cuisine italienne est vraiment succulente !

L’aventure s’achève mais il me faudra plusieurs semaines pour me remettre de tant d’émotions. J’ai désormais gravi 40 sommets de plus de 4000 mètres sur les 82 listés dans les Alpes. Rien ne presse pour la suite. Je savoure chacun de mes projets, j’aime m’en imprégner avant de les mener à bien. En montagne, il ne sert à rien de vouloir forcer le destin. La nature décide et dicte ses conditions. À nous de savoir lui prêter une oreille attentive pour être capables ensuite de savourer les instants magiques qu’elle nous offre. Mais un jour prochain, j’en suis certain, j’arpenterai à nouveau ses cimes à la rencontre de nouveaux sommets aussi superbes que le Lyskamm.

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