Nous voilà dans les Alpes valaisannes, face à l'Obergabelhorn (4063 m) ; selon moi, l'un des plus beaux 4000 des Alpes suisses. Depuis ma première rencontre avec ce géant des Alpes, je n'ai cessé de revenir voir ce sommet mythique. Cette montagne évolue très vite. Il y a un siècle, un immense sérac se tenait fièrement en équilibre sur sa face nord. Désormais, cette face dantesque est bien plus épurée. Avec les années, l'enneigement hivernal diminuant, cette face apparaît moins plâtrée. Cette photographie est donc exceptionnelle par la quantité de neige plaquée sur la montagne.

En prenant ce portrait, je voulais cristalliser la beauté de l'Obergabelhorn en isolant l'instant, en capturant la simplicité de la lumière tout juste déposée sur cette montagne. Ses lignes sont si pures, si esthétiques. Ce sommet est envoûtant et je ne résiste pas à son appel.

Cette photographie comporte d'incroyables détails. À gauche, dans l'ombre, une ligne blanche attire notre attention : il s'agit de la ligne marquant le départ d'une avalanche. Ensuite, du côté du grand gendarme, les rochers plâtrés de neige offrent de subtils contrastes ; le cliché a quelque chose d'abstrait et d'indéfinissable. Quelques volutes de nuages sortent brusquement du sommet, rappelant ainsi la puissance des vents qui règnent à ces divines altitudes.

Avec le temps, les crevasses au bas du glacier s'ouvrent de plus en plus, laissant apparaître de véritables abîmes ; scène contrastant avec la douceur des lignes de la face nord. Ce détail me pousse à vouloir gravir cette voie royale (Graal de tout alpiniste) sous peu ; d'ici quelques années, les conditions pourraient bien changer radicalement, rendant l'accès à la face nord trop dangereux.

Apprécions un instant la dimension poétique de cette œuvre. La mer de nuages est suffisamment haute pour surprendre le spectateur et le dépayser instantanément. Sortant de ce doux coton, le sommet semble immense, incommensurable, et laisse finalement rêveur ; ce pourrait être un 7000 ou un 8000 himalayen... sommes-nous en Suisse, au Népal, au Pakistan ? Il suffit du jeu de quelques nuages, de la lumière et de la neige pour qu'une montagne, que l'on pensait pourtant bien connaître, se révèle sous une forme qu'on n'aurait jamais pu imaginer. C'est la magie de ce monde d'en haut.