Un nouveau jour se lève sur la Pointe Percée, souveraine du massif des Aravis. À travers cette photographie en noir et blanc, j’ai voulu immortaliser l’instant précis où ce sommet mythique perce littéralement la brume, à la manière d’un navire qui émerge d’un océan infini. Devant nous, la face ouest de la montagne se dresse, sombre et imposante, tandis qu’en arrière-plan, le massif du Mont-Blanc se baigne dans les premiers rayons du soleil. Entre l’Aiguille du Midi et le Mont-Blanc du Tacul, l’astre matinal fait jaillir une lumière presque surnaturelle, révélant les sommets encore tourmentés par les vents de haute altitude.

Sur la partie gauche de la photographie, l’arête du Doigt se dessine telle une proue vigoureuse ; sa ligne effilée souligne la verticalité des parois et renforce l’impression d’une montagne en mouvement. Au centre, on distingue la fameuse arche de la Pointe Percée, un trou naturel dans la roche qui, fidèle à son nom, “perce” la silhouette du sommet. À droite, la voie normale d’été se devine, blanchie par une épaisse couche de neige ; pourtant, en ce jour d’hiver, elle semble totalement inhospitalière et renforce la dimension onirique de la scène.

La mer de nuages enveloppe la montagne de mystère. Un tapis ouaté qui contraste avec la rigueur minérale de la Pointe Percée. Dans ce moment suspendu, la brume paraît s’accrocher à chaque arête, comme pour ralentir l’éclosion de l’aube. Plus haut, aux alentours de 4000 mètres d’altitude, la tempête continue de faire rage : l’Aiguille de Bionnassay, chahutée par de violentes rafales soufflant jusqu’à 120 km/h, exhibe un long drapeau de nuages, un signe irrécusable de l’énergie qui règne là-haut. Pourtant, à l’emplacement même où je me tiens, le vent n’est pas si fort, me laissant tout juste le temps de saisir ce tableau éphémère.

Le dialogue entre la Pointe Percée et le Mont-Blanc me fascine. La première s’élève à 2750 mètres, le second culminant à plus de 4800 mètres ; 2300 mètres de différence, et pourtant, en cet instant, ils semblent se saluer dans une même lumière. La Pointe Percée, reine des Aravis, contemple son grand frère comme on observe un idéal inatteignable. Dans la même fraction de seconde, le soleil surgit, illuminant la brume qui chemine alors sur le flanc est de la montagne. Cette lueur naissante, semblable à un feu discret, confère à l’œuvre une atmosphère quasi irréelle.

J’ai dû patienter de longues années pour assister à cette scène hors du temps. Les caprices de la météo, l’emplacement et l’heure précise de la journée : autant de facteurs qui devaient s’aligner pour révéler la majesté de la Pointe Percée dans ce décor de nuées. Quand la nature a consenti à dévoiler ce spectacle, j’ai ressenti une profonde gratitude. Chaque détail — la forme du trou, la découpe de l’arête, la tension lumineuse entre l’ombre et le soleil — conspire à révéler la force et la grâce de cette montagne légendaire.

Cet instant fugitif est devenu, pour moi, un héritage visuel autant qu’un témoignage du pouvoir transformateur de la haute montagne. La Pointe Percée se présente ici telle une sentinelle immuable, immergée dans une mer de brume, faisant face à un Mont-Blanc drapé de lumière. Un face-à-face au sommet, où l’altitude ne fait plus obstacle à la contemplation, et où l’essence même de l’alpinisme se retrouve dans un simple regard échangé entre deux cimes.